La station Cluny-La Sorbonne, sur la ligne 10 du métro parisien, est l’une des rares stations à avoir rouvert malgré une longue interruption de près de 50 ans. Aujourd’hui, rien ne laisse transparaître son ancien statut de “station fantôme” : pourtant, elle aura hanté mon enfance et s’avère d’une architecture particulière, avec ses trois voies et son arche gigantesque.
Souvenirs d’enfance
Dans les années 80, il me fallait matin et soir prendre le métro pour me rendre à l’école, d’abord accompagné puis seul. A cette époque, les 1ères classes existaient encore, avec leurs wagons jaunes, comme les tickets d’ailleurs. Mon trajet me conduisait de Maubert-Mutualité (5ème arrondissement, sur la ligne 10) à Notre-Dame-des-champs (6ème, sur la 12), avec un changement à Sèvres-Babylone. Petit, ce tronçon de la ligne 10 m’apparaissait bien mystérieux : sur le court parcours jusqu’à Sèvres-Bab’ se trouvait pas moins de deux stations fantômes : Cluny qu’on pouvait discerner grâce à sa taille gigantesque et ses trois mystérieuses voies, puis, deux stations plus loin, Croix-Rouge, décorée en plage par l’artiste Guy-Antoine Bonhomme. De quoi faire rêver le gamin que j’étais.
Si la Plage de Croix-Rouge m’amusait, le mystère de Cluny me paraissait plus inquiétant, et plus intéressant aussi : pourquoi était-elle fermée ? Pourquoi cette troisième voie, et pourquoi ce tunnel s’enfonçant encore plus profondément sous terre en direction d’Odéon. Autant de questions auxquelles mon père ne savait pas répondre à l’heure où l’internet n’existait pas. Et puis, un jour, alors que j’avais 13 ans, cette station fantôme s’illumina, découvrant ses mosaïques, de vrais passagers sur les quais tandis que le métro s’arrêtait enfin pour y faire une courte halte : devenue Cluny-La Sorbonne, la station quittait son statut de station fantôme pour ressusciter ! Alleluia.
50 ans de fermeture
Lorsqu’en septembre 1939, la France entra en guerre contre l’Allemagne, il fut décidé (par économie mais aussi par manque de conducteurs non-mobilisés) de limiter le métro parisien à 85 stations. La plupart de ces stations rouvrirent à la libération, mais certaines, comme Cluny ou Croix-Rouge, restèrent fermées pour une raison simple : trop proche de Maubert-Mutualité et d’Odéon pour l’une, de Mabillon et Sèvres-Babylone pour l’autre. Avec de faibles fréquentations, il devenait plus rentable de les maintenir en sommeil. Croix-Rouge reste à cette heure encore fermée au public.
Une renaissance grâce au RER
Mais alors pourquoi Cluny eut-elle droit à une renaissance ? La réponse est simple : à cause du RER. Avec l’ouverture de la gare Saint-Michel du RER B en 1988, permettant la connexion avec le RER C, il devenait pertinent d’offrir une correspondance avec la ligne 10, redonnant une utilité à l’antique station. Pour l’occasion, elle perd sa décoration typique de la CMP (Compagnie du Métropolitain Parisien) pour de nouveaux atours réalisés par l’artiste Jean Bazaine et le céramiste Gino Silverstri da Bellun : l’oeuvre Les Oiseaux y est ainsi représentée, accompagnée des signatures de célèbres étudiants de La Sorbonne (Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Delacroix, Montaigne et tant d’autres) dont elle reprend le nom en plus de Cluny.
Ma station fantôme perdait donc son statut pour recouvrir sa fonction banale, perdant un peu du charme de l’inconnu mais permettant d’admirer un peu plus cette troisième voie et ce mystérieux tunnel grâce à son éclairage. De toute façon, Croix-Rouge a perdu sa plage, et les publicités Dubo, Dubon, Dubonnet ont disparu des tunnels. Les wagons jaunes n’existent plus, la carte orange s’appelle Pass Navigo, les tickets s’apprêtent à disparaître, tandis que l’étrange MA51 (Matériel Articulé 51) a définitivement disparu de la Ligne 10 : le métro n’est plus une fête, ses mystères disparaissent tandis que je grandis. Reste une pointe de nostalgie que Serge le lapin, toujours présent, continue d’entretenir, jamais lassé de prévenir les gamins qu’ils risquent de se faire pincer très fort.
Crédit photo : RATP, Le Point, Félix Fénino, René Minolli