Si les usines Panhard « historiques » de la Porte d’Ivry, d’Orléans ou de Reims n’ont pas survécu à l’absorption par Citroën, il en existe une qui portera le nom de la marque doyenne jusqu’en 2018 : celle de Marolles-en-Hurepoix, une usine méconnue que l’on peut pourtant admirer sur la ligne de chemin de fer Paris-Orléans avant de se perdre en conjecture une centaine de kilomètres plus loin devant la ligne d’essai de l’Aérotrain de l’ingénieur Bertin. Voici donc un petit historique de la dernière usine Panhard.
La fusion avec Citroën
Avec la fusion en 1965, en fait l’intégration totale de Panhard au sein de Citroën, l’entité juridique automobile SAAE Panhard et Levassor disparaît au profit de la SAA Citroën tandis que ses trois usines (Porte d’Ivry, Reims et Orléans) tombent dans l’escarcelle directe des chevrons. Dès 1966, celle d’Orléans ferme ses portes, tandis que celle de Reims se concentre sur la fabrication de pièces détachées (elle restera ouverte jusqu’en 1992 au sein du groupe PSA, produisant des éléments mécaniques pour les Citroën C35 et Peugeot J9). Avenue de la Porte d’Ivry, on continue à produire des Panhard 24, des 2CV Fourgonnettes, quelques Ami 6 ou Dyane mais l’usine est vétuste et finit par fermer ses portes à l’été 1969. Elle est vendue à des promoteurs immobiliers qui en détruiront la quasi totalité pour faire place à des immeubles d’habitation (des tours). Il reste cependant une entité Panhard qui, bien que propriété à 90 puis 98,7 % de Citroën, conserve une certaine indépendance à condition de s’autofinancer : la Société de Constructions Mécaniques Panhard et Levassor (SCMPL). Dirigée par Jean Panhard, elle conserve la fabrication des engins militaires (l’AML à l’époque).
Et si… Panhard était restée indépendante ?
On l’a compris, Panhard a disparu en tant que marque commerciale avec la fin de la 24 en 1967. Pourtant, l’histoire aurait pu être différente si, en 1955, Panhard avait trouvé d’autres investisseurs que Citroën, surtout avide de place pour produire la déclinaison fourgonnette de la 2CV et peu encline à aider la marque doyenne à se développer. J’ai imaginé un scénario alternatif à lire ici : Et si… Panhard était restée indépendante ?
La création de la SCMPL
Cette société a été créée au moment de la fusion en 1965, avec l’objectif de terminer les commandes en cours avant fermeture définitive. Pourtant, le succès des AML-60 et AML-90 en France comme à l’export rendra l’entreprise pérenne. La SCMPL louera une partie de l’usine historique de la Porte d’Ivry tant qu’elle restera en activité (et même un peu plus tard malgré la vente de cette dernière), ainsi qu’un immeuble de l’ancien ensemble Panhard pour son siège, rue Nationale. Il faut cependant songer à un nouveau site de production d’autant que grâce à ses succès commerciaux, la petite firme de blindés à roues dispose des capitaux pour s’offrir un outil de production ultra-moderne. Citroën s’occupe peu de sa petite filiale, tant qu’elle ne coûte rien et qu’elle rapporte en dividendes. Jean Panhard et son directeur-général François Bedeaux se mettent donc en tête d’acquérir un nouveau site, si possible près de Paris, et proche d’une ligne de chemin de fer (c’est pratique pour transporter des blindés).
Marolles-en-Hurepoix, retour aux sources de l’histoire de Panhard
Le choix des deux hommes va s’arrêter sur la ville de Marolles-en-Hurepoix, dans l’Essonne, à 35 km de Paris. On l’a vu, ce terrain de 7,7 hectares se trouve juste au bord de la ligne SNCF Paris-Orléans. C’est en outre un investissement en forme de clin d’oeil, véritable retour aux sources puisque Emile Levassor, l’un des fondateurs de la marque, y était né en 1843. Le terrain est acheté en 1971, et l’usine entre en service en 1973, portant fièrement le nom de Panhard sur son fronton. Certes, le grand public ne voit plus circuler d’automobiles du même nom, mais de nombreuses générations auront l’occasion de rouler en Panhard pendant leur service militaire : avec les AML-60 et AML-90 d’abord, mais aussi l’ERC-90 Sagaie qui les remplace à partir de 1984. En 1985, l’armée française valide le projet de Véhicule Blindé Léger (VBL) dont la production commence à partir de 1990. Le VBL devient rapidement l’ossature des régiments de reconnaissance de l’Armée Française aux côtés des AMX 10RC et est encore en service aujourd’hui dans sa version modernisée Ultima (dont les modifications seront effectuées à Saint-Nazaire chez Acmat et non à Marolles).
Des VBL, mais aussi des P4
Un autre véhicule mythique sera produit à Marolles-en-Hurepoix : le Peugeot P4. Panhard s’était plusieurs fois positionnée durant les années 70 pour remporter l’appel d’offre de l’Armée Française pour un Véhicule Léger Tous Terrains (VLTT), sans succès. Peugeot, allié à Mercedes-Benz et à l’autrichien Puch, remportera l’appel d’offre avec un P4 dérivé du Classe G mais doté d’une mécanique essence de Peugeot 504 et d’une boîte de vitesses de 604. La production commence à Sochaux mais sera finalement transférée à partir de 1987 à Marolles pour laisser la place à la Peugeot 405. Panhard en fabriquera 6 000 exemplaires jusqu’en 1992 mais elles garderont leur logo Peugeot.
Fusion avec Auverland
Au fil des ans, l’activité de Panhard se maintient dans une relative indépendance de PSA (qui a trouvé la SCMPL dans la corbeille en rachetant Citroën entre 1974 et 1976). Pourtant, en 2005, le groupe décide de se séparer de sa filiale militaire pour se recentrer sur ses activités purement automobiles. C’est la société auvergnate Auverland (producteur des 4×4 militaires légers A3 et A4) et héritière des fameux tracteurs Cournil qui emporte le morceau. Preuve de la force de la marque, le nouvel ensemble prend le nom de sa proie pour devenir Panhard General Defense (PGD), avec pour site principal Marolles-en-Hurepoix au détriment du site historique d’Auverland à Saint-Germain Laval.
La fin de la marque au profit d’Arquus
La production principale de Panhard à cette époque (outre un reliquat de VBL en versions longue et/ou spécifique) sera le Petit Véhicule Protégé ou PVP, une sorte d’intermédiaire entre le P4 et le VBL, légèrement blindé. Malgré quelques heures difficiles à cause de défauts de jeunesse compliqués à corriger, lui faisant obtenir le drôle de surnom de Petit Véhicule Pourri, l’activité de l’usine ne baisse pas. Elle produit par ailleurs le VPS, directement dérivé d’un classe G moderne mais dont l’air de famille avec le P4 est indéniable. Destiné aux Forces Spéciales, il porte bien le nom de Panhard. La réussite de PGD attire un nouveau prédateur, Renault Trucks Défense, filiale du groupe Volvo Trucks et qui prend le contôle de l’entreprise en 2012. Panhard cohabite alors avec les marques Renault et Acmat. En 2018, Volvo Trucks décide d’unifier ses marques (et de faire disparaître celle de RTD) en créant Arquus. L’usine de Marolles-en-Hurepoix perd alors sa spécificité Panhard (et sa marque, inscrite jusqu’alors sur les murs du bâtiment).
Photos : Arquus, DR