Depuis l’annonce par Emmanuel Macron de l’envoi d’AMX 10RC en Ukraine, on entend tout et n’importe quoi sur cet engin blindé de reconnaissance (EBR), sans parler des débats “char ou pas char”. Or l’AMX-10RC a cela de charmant : il est inclassable, puisqu’il résulte d’une tradition française initiée justement par l’EBR de Panhard et que nos alliés n’ont jamais suivi véritablement, ce qu’il porte jusque dans son nom : Roue-Canon !
Spécificité française
Il faut dire que l’AMX 10RC résulte d’un besoin différent de toutes les autres nations européennes (mais aussi des USA) : disposer d’un engin suffisamment puissant pour retarder une avance blindée, suffisamment agile pour faire de la reconnaissance, et suffisamment versatile pour évoluer aussi en OPEX, id est l’Afrique. Une quadrature du cercle déjà entamée par l’EBR de Panhard justement, issu lui-même du Panhard 201 et prolongé, en plus léger, par l’AML 60/90 puis l’ERC Sagaie. C’est là toute la différence du 10RC : proposer un canon de char sur une caisse proche d’une automitrailleuse légère. Pas de chenille, mais des roues qui, au nombre de 6, permettent la rotation du blindé à 360 degrés.
Du lourd sur du léger
Sur la tourelle, un canon de 105 mm dérivé de celui de l’AMX-30B2 (en moins puissant), mais de quoi faire du dégât sérieux au point de l’imaginer chasseur de chars. A l’intérieur, du rustique, avec une selle pour le tireur qui fait bien mal au cul, et le vrombissement du moteur Diesel Baudoin, un V6 de 280 chevaux remplaçant le V8 Hispano Suiza d’origine (250 ch) à partir de 1985 : si le V8 n’était pas adapté, le V6 ne l’était pas non plus, semblant un peu sous-dimensionné pour ce blindé. Du rustique, certes, mais pas seulement. Tel une Citroën, notre 10RC monte et descend grâce à une suspension hydropneumatique, tandis qu’il se permet d’user du fameux système de conduite de tir COTAC développé par Sagem (aujourd’hui Safran) aidé par un système laser produit, lui, par CILAS. Certes, l’AMX-10RC ne tire pas en roulant comme un char Leclerc, mais pour un blindé de son âge (mise en service en 1981), il touche au but, et fort.
Un blindé sur tous les fronts
Dans la doctrine française, l’AMX-10RC équipe les régiments de cavalerie légère avec pour but “l’éclairage” : avancer, repérer, retarder, dégager. On est loin de la doctrine de masse, des blindés à chenilles prêts à en découdre sur de vastes plaines de l’Est : le 10RC, lui, est là pour faire chier, et bien chier, pas pour batailler durablement sur une ligne de front. D’où sa faiblesse : un blindage très limité ! Il faut dire que l’animal est censé (du moins avant ses rénovations successives) pouvoir traverser une rivière grâce à son étanchéité et ses hydrojets, un peu comme le VAB. Rajoutez-lui du blindage, et donc du poids, il coulera à pic. D’une certaine manière le 10RC correspond à une application non avouée de la “non-bataille” de Guy Brossollet : compenser la masse par l’agilité, un maillage précis du terrain, et des capacités destructrices inattendues pour l’adversaire, sans chercher à conquérir le terrain.
En même temps, comme dirait notre Président, l’AMX-10RC doit aussi pouvoir agir en dehors de la menace soviétique, sur un autre terrain de jeu : le désert et l’Afrique. Au Tchad (pensée pour le Colonel de Lastic) au début des années 80, jusqu’à Serval puis Barkhane plus récemment, l’AMX-10RC aura écumé l’Afrique, offrant une puissance de feu projetable bien plus facilement qu’un char de 50 ou 60 tonnes. Notre 10 aura aussi son heure de gloire sur les flancs de l’opération Desert Storm, au sein de la division Daguet : certains officiers américains resteront stupéfaits des actions de 10RC dans le désert irakien. Une impression qui sera répétée en Afghanistan : un blindé léger, mobile, et pourtant très puissant.
Des 10 pour l’Ukraine
Lors de mon service entre 1999 et 2000, au 2ème Régiment de Hussards, nous conservions deux dizaines d’AMX-10RC : alors que la mission avait évolué de la reconnaissance de Corps d’Armée au Régiment Blindée de Recherche du Renseignement (RBRR, au sein de la Brigade du Renseignement sous l’impulsion du Colonel Ballarin puis du Colonel Lépinette), les 10 étaient toujours présents, dans l’optique de dégager les équipes pourtant destinées à l’observation plus qu’au combat : dégager par le feu rapide et puissant. Ironie du sort, c’est au 2ème Hussards que les premier 10RC firent leurs qualifications au début des années 80, devenant à l’époque un régiment formateur.
La question qui se pose maintenant c’est évidemment l’Ukraine. Le 10RC, développé dans les années 70 et mis en service dans les années 80, est un bon blindé, et personne ne le nie (à part ceux qui n’y connaissent rien). Ce n’est pas ce qu’on appelle un MBT (Main Battle Tank, les Leclerc, Léopard, Abrams et autres T72/80/90 du côté russe). Il me semble cependant parfaitement adapté aux besoins ukrainiens à venir : léger, rustique, facile à prendre en main, et parfaitement adapté à ce pour quoi il a été conçu en pleine guerre froide : faire chier du tank russe, contrôler les ailes d’une offensive, et envoyer du lourd si nécessaire avant de se carapater. Parfaitement complémentaire aux chars lourds qui s’annoncent, je le vois comme une bête noire, capable de contrecarrer sans en avoir l’air des offensives qui pourraient, sans cela, devenir embêtantes. Je le vois capable de surprendre, comme il a déjà surpris, par sa puissance de feu rapporté à sa masse. Enfin, ce blindé se retire lentement de notre ordre de bataille, remplacé par le Jaguar, et notre armée pas encore menacée peut être un soutien en fournissant des exemplaires, en soutenant logistiquement, en envoyant des pièces détachées.
Les limites du 10RC
Seule contrainte de ce 10RC ? Ses munitions, des obus de 105 non compatibles OTAN. Toute la question est là : envoyer des AMX (Ateliers d’Issy-les-Moulineaux) ok, mais de quel stock de munition disposons-nous ? Il reste environ 240 AMX-10RC en service en France (et cela constitue encore notre ossature blindée aux côtés des Leclerc). Le Maroc en disposait de 108, et le Qatar 12 (un nombre très symbolique). Je ne sais pas la réalité, il y a 20 ans déjà, au 2ème RH, certains 10 servaient de banque d’organes à d’autres… Mais dans l’absolu, notre AMX-10RC serait un excellent complément aux blindés Léopard prévus (et à une offensive “sèche”, la roue n’aimant pas toujours la boue).
Enfin, son blindage reste très léger, en contrepartie de sa mobilité : si les AMX-10RC rénovés (dits RCR) ont revu leur protection au détriment de l’amphibie, cela reste un problème. Mal utilisé, le 10RC peut se retrouver une cible extrêmement vulnérable. Le débat “char ou pas char” est là, au-delà des chenilles : le 10RC reste un engin léger et mobile, prêt pour les coups de force, pas pour les batailles en ligne. Leur utilisation (et notre fourniture de nouveaux exemplaires et de munition) nous dira ce qu’ils valent vraiment… En attendant, les 10 ont souvent impressionné, en Irak comme en Afrique ou en Afghanistan.