L’industrie aéronautique espagnole ne sera reconnue qu’à partir des années 70 avec l’entreprise CASA et ses fameux avions de transport CA-212, CN235 puis C295. Avant cela, il lui aura fallu intégrer petit à petit le savoir-faire, notamment allemand. C’est ainsi qu’à partir de 1943, la firme récemment nationalisée Hispano Aviación se met en tête de produire sous licence Messerschmitt un avion de chasse dérivé du Bf 109 G sous le nom de HA-1112 et surnommé el Buchon (le pigeon). Les difficultés de la guerre puis de l’après-guerre conduiront à un avion totalement différent techniquement, mais la ressemblance avec son modèle allemand en fera tout naturellement une vedette de cinéma.
Au début des années 40, l’Espagne n’est pas en guerre, contrairement au reste de l’Europe : elle se remet lentement de sa propre guerre civile, dirigée d’une main de fer par le Général Franco. Ce dernier bénéficie cependant, malgré la neutralité du pays, du soutien de l’Allemagne nazie depuis 1936. L’Armée de l’air espagnole (Ejército del Aire) a d’ailleurs reçu en dotation quelques Messerschmitt Bf109 dont elle est très satisfaite. Franco, conscient des bienfaits de l’industrialisation, décide de développer le secteur aéronautique. L’Etat prend donc une part significative du capital de CASA, mais surtout il nationalise l’usine Hispano-Suiza de Séville qui devient Hispano Aviación en 1943.
Développer l’industrie aéronautique espagnole
C’est cette dernière qui va réaliser le rêve de Franco : construire un avion performant pour la chasse espagnole. Pour cela, des négociations vont être entamées avec Messerschmitt pour la fourniture des plans, des moules, ainsi que de 25 avions livrés en kit, moteurs compris. Charge à Hispano de réaliser ensuite seul l’avion pour une série plus longue. Malheureusement, les choses ne se passent pas comme prévues. D’une part, les allemands ne sont pas ravis de livrer les moteurs Daimler-Benz du Bf 109 G à l’Espagne en raison des risques d’espionnage ; d’autre part, la guerre devient de plus en plus compliquée et les moteurs manquent cruellement à la Luftwaffe. Ce qui devait arriver arriva : seuls les plans, les moules et les coques arrivent à destination, mais aucun bloc moteur.
Des moteurs français pour commencer
Pour palier à ce problème, Hispano Aviación va faire appel à une vieille connaissance : Hispano-Suiza, en France. Naguère, les deux entreprises n’en faisaient qu’une, avant que les activités aéronautiques en France ne soient nationalisées, en 1936. Or, à cette période, Hispano-Suiza est entre les mains des autorités d’occupation allemandes. La firme française a développé un moteur V12 (12Z type 89) de 1 337 chevaux qu’elle a commencé à tester dès 1939 sur des Dewoitine D520 (renommés D524) et des Morane-Saulnier MS410 (appelés alors MS450). Désormais bons pour la production, ces V12 ne verront pas le jour sur le sol français, interdits par les allemands. Cette affaire fait le bonheur de Hispano Aviación qui en récupère les plans pour les produire dans son usine de Barcelone.
Le développement du nouvel avion prend cependant un peu de temps. Le 2 mars 1945, le premier HA-1109-J1L prend son envol à Séville. Les 24 autres seront produits jusqu’en 1947 pour servir à des tests divers, sans jamais entrer en service opérationnel. Entre-temps, Hispano-Suiza en France a recouvré sa liberté et amélioré son V12, devenu 12Z-17. L’entreprise va accordé à Hispano Aviación une licence pour la fabrication de 200 exemplaires à partir de 1948. Il n’en sera produit que 65 : 25 pour remotoriser les HA-1109 déjà produits, et 40 pour de nouveaux exemplaires. Le modèle prend désormais le nom he HA-1112-K1L. Ces avions entrent alors en service dans l’armée de l’air en 1951. Entre temps, Hispano cherche une nouvelle motorisation, plus puissante et moderne. Pour améliorer son avion, elle reçoit d’ailleurs à cette époque un consultant de luxe : Willy Messerschmitt lui-même.
Rolls-Royce entre dans la danse
C’est vers l’Angleterre qu’elle va se tourner, négociant avec Rolls Royce pour la fourniture de son V12 Merlin 500-45 de 1 645 chevaux. La différence de conception du moteur obligea à de nombreuses modifications sur le nez de l’appareil et l’équipement d’une hélice à 4 pales (au lieu de 3 pour les K1L) : cette version vole pour la première fois en 1954 sous l’appellation HA-1112-M1L. 172 exemplaires seront construits dans cette configuration. Ils resteront en service dans l’armée de l’air espagnole jusqu’en 1965.
Il faut dire que le Buchon, son surnom affectueux, n’était plus du tout à la pointe : l’Espagne restait le dernier pays européen à disposer de chasseurs à moteur à pistons et à hélice. S’il n’était plus efficace pour une unité opérationnelle, le HA-1112 n’eut pas de mal à se reconvertir. En effet, sa ligne relativement proche du Bf 109 et son âge relativement faible lui permettait de singer sans problème son cousin allemand. Cela tombait bien puisqu’en ce milieu des années 60, on commençait enfin à produire des films de grande ampleur sur la seconde guerre mondiale et le besoin d’aéronefs en bon état et pilotables se faisait sentir. Ainsi, le Buchon devint-il la vedette de La Bataille d’Angleterre en 1967 ou de L’Odyssée d’Hindenburg en 1975.
Agréable à piloter et plutôt fiables contrairement à l’autre Bf 109 sous licence, l’Avia S 199 tchèque (dont les israéliens eurent un mauvais souvenir), le Buchon est prisé des collectionneurs qui n’hésitent jamais à le faire voler lors des meetings aériens.