« Ce petit coin de nature est le cadre idéal pour… » : non je ne vous parlerai pas du Chat Machine, mais d’une autre madeleine de Proust qui a tendance à disparaître de nos jours, j’ai nommé le « Petit Garage du Coin ». C’est un passage au Garage Forest de Vailly sur Sauldre, au nord du Cher et à deux pas du musée automobile, qui m’y a fait pensé : Bruno, l’homme des lieux, prendra sa retraite sans successeur, et son antre à tout faire (de la mobylette au vieux Land Rover) disparaîtra en même temps qu’il prendra un repos bien mérité.
Chez Mam’zelle Dudu !
Je me rappelle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, celui où mon village berrichon était dépourvu de « grande surface », celui où l’on faisait ses courses à l’épicerie du village, chez mam’zelle Dudu (plus facile à dire, pour nous, enfants, que mademoiselle Durantin) ou au marché le mercredi, celui où l’on faisait le plein chez Noyat dont les pompes à essence se situaient dans la cour de sa maison et qui vendait aussi du bois et du charbon, celui où le garage Moindrot réparait les petits tracas de toutes les autos. Aujourd’hui, deux garages subsistent encore à Henrichemont, avec le même état d’esprit que celui de Bruno à 20 kilomètres de là plus au Nord, mais pour combien de temps ?
Concurrence et investissement
Ces « petits garages du coin » auront tout connu : la fin de la confiance des constructeurs, préférant des grandes concessions à la périphérie des villes aux petits agents de marques, forcément ruraux et aux volumes trop faibles (sans parler de la tête de cochon difficile à gérer). Celle aussi des « spécialistes » tels Norauto, Point S et consorts… Celle des revendeurs d’occasions, celle des stations service de la grande distribution : il en faut du courage pour perdurer dans un environnement aussi concurrentiel d’autant qu’à l’échelle de ces entreprises, l’investissement matériel n’est pas négligeable (outils, ponts, véhicules à vendre ou de courtoisie, salariés compétents etc).
Pépites à protéger
Pourtant, ces « petits garages du coin » sont des pépites à protéger, de celles qui, comme Bruno à Vailly, sont capables dans le même atelier de réviser une Renault Mégane récente, de désosser un Land Rover Discovery, de refaire le châssis d’une Citroën 2CV et de vendre à qui le veut une très rare Renault Supercinq Supercabrio EBS (bien trop cher, mais « la cliente ne veut pas s’en séparer à moins »). Dans le petit atelier d’à côté, on retrouve une fabrique de remise à neuf de Motobécane des années 60 sur 15 m2, encombrée par une Alfa Romeo GTV en attente de bons soins. Passion et éclectisme ! Malheureusement, les générations suivantes ne tiennent pas forcément à mettre les mains dans le cambouis, quand par ailleurs l’horizon s’assombrit : l’arrivée du véhicule électrique, demandant moins d’entretien, fera disparaître ces gens-là, obligeant une clientèle encore attachés (par goût ou par obligation) aux vieux véhicules à faire face aux sarcasmes et à la surfacturation des grandes concessions (pas toutes heureusement).
« y’a l’joint d’culasse qu’est pété »
Le « petit garage du coin », c’est celui qui passera du temps pour vous évitez de faire n’importe quoi, loin du sketch de Daniel Prévost et de son « joint d’culasse qu’est pété ». Celui qui préconisera des pièces d’occasion récupérées à la casse quand c’est possible, qui passera trois jours à comprendre pourquoi l’électricité ne marche plus, par principe, et par fierté, sans facturer. Celui qui, par passion, prendra le temps d’entretenir votre ancienne sans surfacturer, celui qui viendra d’un coup de dépanneuse booster votre batterie en rade pendant l’hiver sans réclamer un centime, justifiant ainsi un léger surcoût par rapport aux « grandes surfaces » de la réparation et de la pièce auto par ce service de proximité si appréciable. Celui qui connaît vos autos depuis 20 ans et commence à savoir les soucis récurrents d’embrayage de votre vieille mère. Le « petit garage du coin », c’est un peu votre médecin de famille de campagne, celui qui se déplace gratos par précaution et souci de la patientèle. Vous n’êtes pas le client, votre auto est LE PATIENT.
C’est quoi l’écologie ?
On nous dit que l’écologie, c’est la voiture électrique. Vivant à la campagne, je me demande si l’écologie ce serait pas plutôt maintenir en vie des objets qui ne sont pas obsolètes et dont l’empreinte carbone est déjà amortie, plutôt que de consommer toujours et encore, en aggravant les choses plus qu’on ne les résout. La question est de toute façon compliquée : pour que nos constructeurs, pourvoyeurs d’emplois, survivent, il leur faut produire (que ce soit de l’électrique ou du thermique) mais n’y a-t-il pas quelque chose à jouer dans le maintien d’un « tissu mécanique » dans nos régions et provinces, capable de réparer tout ce qui roule, tandis que les grands constructeurs s’impliqueraient plus sur leur « patrimoine » et le marché de l’occasion qui devient un enjeu majeur avec la crise des semi-conducteurs (et de l’électricité puisque la guerre russo-ukrainienne obligera à faire des choix différents de ceux imposés par l’angélisme d’écologiste à géométrie variable et à courte vue, mais ils ne sont pas les seuls).
Un nouveau marché ?
PSA (désormais Stellantis) a devancé Renault en rachetant Aramis Auto et en développant des usines de reconditionnement. Le losange suit sous l’impulsion de Luca de Meo en transformant l’usine de Flins en usine de reconditionnement elle-aussi, après avoir fabriqué tant et tant de voitures dans les méandres de la Seine. Dès lors, puisque les groupes remettent en cause leurs contrats de distribution/concession, pariant sur de nouveaux modes de consommation, verra-t-on resurgir le « petit garagiste du coin » qui saura, lui, s’occuper de votre vieille thermique, bidouiller votre électrique (si on le lui permet), réparer votre mobylette, vous vendre un tracteur à gazon, et, pourquoi pas vous refourguer une Ami, un Twizy, voire un VSP de marque Aixam, Ligier ou Chatenet : le spécialiste du moteur, le revendeur de mobilité, à essence ou à l’électricité, pourvu qu’il puisse toujours mettre les mains dans le cambouis !
Vive les C15 et ceux qui les entretiennent, des Seigneurs !
En attendant, je suis content de voir que dans mon Berry natal, les « petits garages du coin » continuent malgré tout, qu’ils entretiennent pléthore de Citroën C15 avec plaisir (rendant par ailleurs impossible l’achat de ces bêtes de somme qui, lors d’un récent mariage de bagnolards berrichons justement, semblaient être le graal malgré les Ferrari sur le parking), capable par ailleurs de s’occuper d’une SM réputée capricieuse, d’une Xsara dont tout le monde se fout sauf son propriétaire, parce qu’il en a tout simplement besoin. Un « petit garagiste du coin », c’est un Seigneur (et pas saigneur), celui qui maintient le lien, la capacité à se déplacer, et qui mérite bien qu’on lâche un peu de pognon pour s’assurer d’avoir un peu de mobilité autre que le vélo ! Sachez en outre que ce « petit garage du coin » saura par ailleurs gérer votre biclou, parce que rien de ce qui est mécanique ne lui échappe. Réfléchissez-y !
4 commentaires
Je vous avais perdu dans les articles intellos et elitistes de car juger, je suis content de retrouver votre vision populaire de l’automobile sur un site plus facile à suivre 😃.
Ce culte du C15…
Ces garages, on les avait quand on était petit, version Depreux ou Nil, aux armes d’AZUR le pétrolier, à étages, avec pont élévateur et portique de lavage pour les CIJ, Quiralu, Minialuxe, Norev et Dinky forcément. Dans ma commune de naissance, c’était la station Esso et les « tacots » du garagiste, collectionneur des années 60, le garage Citroën aux pompes Mobil avec son camion de dépannage Ford Canada bleu à ceinture de caisse jaune pâle. Où les voit-on désormais ? Sur les cartes postales des années 50 à 70, dans le cinéma de cette époque, les films de télévision (ORTF) d’alors. Cependant, les garagistes de campagne, dans les communes rurales assurent l’entretien d’un parc d’occasion de bon aloi. Ils n’ont pas encore disparu. Et puis François Bon en a fait un sujet dans Mécaniques (Verdier, 2001), récit habité par le garage de son père, agent Citroën, d’abord en Vendée maraîchine puis à Civray dans la Vienne.
oui ils existent toujours (j’en ai dans ma principauté) mais ce n’est plus pareil !
En effet, Arsène Lupin (!), ils ne sont plus pimpants et relèvent de marques franchisées. C’est tout gris comme diraient les Deschiens. Naguère et bientôt autrefois, on conduisait l’auto au Garage du Panier Fleuri (Saint-Maixent L’Ecole), ou chez Desbrousses (Simca), chez Vigot (Citroën), chez Brochet (Peugeot) ou encore aujourd’hui dans le nord de mon département chez Panpan, ainsi surnommé parce que c’est un chasseur (Pas Panhard & Levassor). La nostalgie n’a rien à voir là-dedans, on y va pour le service de proximité, la fidélité, la confiance. C’est le garage Simca façon Demy (le père était garagiste) dans Les Parapluies de Cherbourg.