L’automobile intéresse Haxo sous toutes ses formes, y compris quand il s’agit de quadricycles à moteurs, plus connus sous le nom de Véhicules Sans Permis (VSP). Celle qui nous occupe aujourd’hui est une nouvelle venue sur le marché des « voiturettes » puisqu’il s’agit de la Citroën Ami, deuxième incursion d’un grand constructeur sur ce créneau après celle de Renault et de son Twizy. Lancée en 2020, la petite chevronnée a révolutionné le secteur en lui offrant visibilité, glamour et modernité par ses modes de diffusion. Une opération séduction qui pourrait cacher une stratégie de long terme plutôt pertinente.
Production (2020-2021) : 11 902 exemplaires
Un projet externalisé
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’Ami n’est pas tout à fait une pure Citroën. Si le donneur d’ordre a bel et bien été PSA, le concepteur est extérieur au groupe : il s’agit de la société Altran (renommée Cap-Gemini Engineering depuis son rachat) qui a installé à Casablanca en 2014 une filiale de Recherche et Développement dédiée au groupe automobile français. Il s’agissait à l’époque d’accompagner le constructeur dans la création d’une usine d’assemblage au Maroc. Ce premier contrat aboutira à la création de l’usine de Kénitra, ouverte en juin 2019 et qui produit aujourd’hui des Peugeot 208 en version thermique et les fameuses Ami (et son dérivé Opel Rocks-e). Dans le prolongement de cet accompagnement, et fidèle à sa politique d’externalisation de la R&D (en octobre 2018, ce sont 2 000 ingénieurs d’Opel qui sont intégrés à l’entreprise française Segula par exemple), PSA confie donc à Altran et son centre de recherche marocain la conception d’un petit véhicule électrique de type VSP. Le cahier des charges est ainsi réalisé en interne mais la recherche, le développement et le processus d’industrialisation est intégralement confié à Altran. Ironie de l’histoire : le constructeur de VSP Chatenet, situé près de Limoges, a aussi fait appel à Altran pour la réalisation de son quadricycle électrique dérivé de sa petite CH46 thermique, lancée en 2022.
Renault Twizy : premier de cordée
En 2012, Renault était le premier constructeur français d’automobiles à s’intéresser au marché des quadricycles à moteur en lançant une Twizy électrique disponible avec ou sans permis. Le choix du Losange s’avéra plus radicale, en proposant une sorte d’hybride entre le scooter et la voiturette : deux places, certes, mais une carrosserie ouverte aux intempéries. Fabriquée dans un premier temps à Valladolid, elle est fabriquée massivement la première année (11 325 exemplaires) avant de retomber entre 2 000 et 3 000 exemplaires chaque année dans le monde. En France, elle ne s’est vendue qu’à 427 exemplaires en 2020 et la production a été rapatriée à Busan, en Corée du Sud pour libérer Valladolid et tenter de convaincre les marchés asiatiques. Ce sera l’unique quadricycle à moteur pour la marque : son successeur, probablement appelé Duo, sera commercialisé par la nouvelle marque du groupe, Mobilize (et dérivé d’un modèle chinois de son allié Jiangling)
En février 2019, Citroën présente au Salon de Genève un concept-car dessiné par Pierre Icard en interne : l’Ami One Concept. La voiture est très séduisante et introduit l’idée d’un petit véhicule électrique dédié à la nouvelle mobilité urbaine mais sa réalisation industrielle le sera beaucoup moins : entre un concept de designer et un produit passé à la moulinette de consultants à la recherche du moindre coût, le fossé est énorme, ce qui expliquera la déception des journalistes lorsque l’Ami de série leur sera présentée un an plus tard. Si la voiture est amusante, séduisante et plutôt réussie, on est loin du rêve vendu à Genève, rançon de son industrialisation et de sa volonté d’abaisser le tarif au minimum. L’intention de Citroën est claire : bouleverser ce marché boudé par les grands constructeurs mais aussi bousculer les acteurs historiques (Aixam, Ligier-Microcar, Chatenet) avec des moyens financiers et industriels sans commune mesure. Quant une voiturette traditionnelle se vend entre 10 et 15 000 €, la petite Ami s’offre à 6 900 €, soit presque moitié moins, tout en bénéficiant de l’image et du réseau Citroën et d’innovations marketing et de distribution, comme l’alliance avec le groupe FNAC-Darty accompagnée par l’agence Lonsdale.
NDLR : Le tarif de l’Ami est passé, en février 2022, à 7 390 euros pour sa version de base.
Un nom en double clin d’oeil
Dans l’essentiel des articles mentionnant l’Ami, une seule référence explique le nom de ce petit quadricycle à moteur électrique : une allusion aux Ami6 et Ami8 d’antan. C’est un clin d’oeil évident à un nom typiquement Citroën. Pourtant, la filiation avec les Ami 6 et 8 n’est clairement pas évidente : il s’agissait alors de berlines moyennes faisant le lien entre la populaire 2CV et la statutaire DS. Pour les plus anciens, il s’agit d’un nom familier mais sont-ils dans la cible ? En réalité, il s’agit d’un double clin d’oeil : utiliser un vocabulaire Citroën issu du passé, certes, mais surtout parler à la véritable cible de l’Ami, les jeunes. En évoquant l’amitié, évidemment, mais en faisant référence au permis AM qui a remplacé le BSR et qui parle beaucoup plus à un jeune qu’à un adulte titulaire du permis A et qui n’a jamais eu à se soucier de passer un permis de ce genre. Un adolescent d’aujourd’hui ne connaît pas les Ami 6 et 8 des années 60 et début 70 : son permis AM en revanche, il sait pertinemment ce que c’est.
Ami One Concept : trop sophistiquée
Il suffit de comparer l’Ami One Concept à l’Ami tout court pour voir le fossé séparant les deux voitures. La première mise tout sur la sophistication quand la seconde choisit la simplicité. Une voiture telle que l’Ami One Concept présentée au Salon de Genève 2019 n’aurait jamais pu répondre aux exigences de Citroën : descendre sous la barre de 7 000 € ! Elle a en revanche préparer habilement le terrain à l’Ami sous couvert des 100 ans de la marque. Un premier coup médiatique réussi pour les équipes en charge d’un projet que peu de personnes imaginaient devenir réalité moins d’un an plus tard.
Une percée remarquée malgré les difficultés
La Citroën Ami est donc présentée au public en février 2020 et sa commercialisation commence en juillet de la même année. Le design a bien évolué depuis le concept Ami One, mais conserve une fraîcheur bienvenue et des originalités amusantes pourtant dues à des considérations financières : l’avant et l’arrière interchangeables, les portes asymétriques permettant l’utilisation d’une seule pièce commune à droite comme à gauche. Autant de bonnes idées qui résultent d’une réflexion industrielle et transformées en arguments marketing avec habileté. Globalement, l’Ami a une bonne bouille et offre suffisamment de personnalisation pour en faire une voiture désirable auprès de la clientèle jeune visée. En effet, l’ambition de Citroën est de transformer le marché du VSP. Traditionnellement, il s’adressait à une clientèle plutôt âgée n’ayant jamais passé son permis de conduire mais contrainte par la désertification à une mobilité nouvelle. Peu à peu, l’introduction du permis à point en 1992 a ouvert le marché à ceux qui se retrouvaient sans permis à force d’incartades avec le code de la route. La jeunesse, elle, continuait à rouler en mobylette et en scooter. Ce n’est qu’à partir des années 2010 que les VSP ont commencé à devenir une alternative aux yeux des parents face aux dangereux deux roues motorisés. Cependant, le prix d’une voiturette réservait cette option à une minorité fortunée. Avec l’Ami et son tarif canon obtenu grâce aux capacités industrielles d’un groupe comme PSA (aujourd’hui Stellantis) mais aussi à ses capacités de financement permettant d’obtenir un tarif mensuel à 19,99 € après un premier apport supportable de 3 500 euros, le marché peut enfin s’ouvrir à une clientèle plus large et surtout beaucoup plus jeune. En outre, son design atypique la sort de l’image traditionnelle (et souvent ringarde malgré les efforts des petits constructeurs) des « voiturettes » pour la placer d’emblée comme une offre de mobilité fun et moderne. Nos enfants, moins sensibles à l’automobile traditionnelle, y voient un engin cool pour se déplacer, quand les VSP singeant les voitures de grands paraissent un tantinet ridicules à leurs yeux.
Citroën My Ami Buggy Concept : entretenir l’image
Dans sa logique d’aller toucher la jeunesse française ou européenne, Citroën présentait en décembre 2021 sa vision Buggy de la petite Ami. Grâce à quelques artifices intelligents, à l’utilisation des codes du tout-terrain, de l’aventure ou des voitures de plage d’antan, l’Ami Buggy s’avère particulièrement séduisante et donne sérieusement envie d’une version de série. En Juin 2022, Citroën a lancé la My Ami Buggy en série limitée à 50 exemplaires, tous vendus dans la journée.
Pourtant, Citroën aurait pu pâtir d’un démarrage difficile : certes, les commandes ont afflué dès son lancement mais de nombreux problèmes ont abîmé la réputation de l’Ami. De nombreuses voix se sont élevées, notamment sur Internet, pour évoquer les problèmes d’assemblages hasardeux, de portes s’ouvrant en roulant, ou d’étanchéité aléatoire, obligeant d’ailleurs Citroën à rappeler de nombreux modèles pour les fiabiliser. Une opération nécessaire mais qui a un coût non négligeable pour une voiture au prix déjà très serré. Étrangement, ce faux départ ne nuira pas au succès commercial de l’Ami comme le prouvent ses ventes en 2021.
Une opération publicitaire doublée d’une stratégie de long terme
Si l’on observe les chiffres de vente de l’Ami, on est pourtant loin d’un raz de marée (voir tableau ci-dessous). Pourtant, elle a bouleversé le marché en France en s’installant dès 2020 et en à peine 6 mois à la deuxième marche du podium derrière le leader Aixam, provoquant d’ailleurs à elle seule une hausse de 15 % du nombre de VSP vendus en France. Pour 2021, Citroën annonce avoir vendu 9 183 exemplaires de l’Ami en Europe. Les chiffres de vente en France ne sont pas encore connus mais on peut largement les situer à environ 6 000 unités, quand le marché, lui, est passé de 16 000 à 24 000 exemplaires vendus. Non seulement l’Ami progresse mais elle fait aussi progresser tout le monde dans son sillage. Pour autant, ces ventes restent anecdotiques par rapport aux ventes globales de la marque et l’Ami n’est qu’un modèle de niche : d’ailleurs, la ligne d’assemblage de Kénitra n’a pour l’instant qu’une capacité de 18 000 exemplaires par an. Un simple calcul du nombre d’exemplaires multiplié par le tarif donne un chiffre d’affaires TTC d’environ 60 millions d’euros (sans prendre en compte la part revenant aux distributeurs et aux intermédiaires) : un goutte d’eau dans l’océan Stellantis. En réalité l’Ami n’est qu’un gigantesque coup publicitaire. Avec son VSP, Citroën s’est offert une visibilité énorme en retombées médiatiques, chaque journaliste automobile, généralement réticent à l’idée de parler de voiturettes, s’étant fendu d’un article dans la presse généraliste ou spécialisée.
Opel Rocks-e : la jumelle allemande
La Citroën Ami se répand en Europe avec les marchés italien, portugais, belge ou anglais (entre autres) mais en Allemagne, l’offensive est réservée à la marque locale du groupe Stellantis, Opel. Son nom, Rocks-e, fait référence aux disparues Adam, et ses couleurs s’adaptent à l’identité du Blitz mais pour le reste, il s’agit en tout point d’une Ami rebadgée. La Rocks-e n’est commercialisée que depuis novembre 2021 mais elle compte bien se faire une place en Allemagne en jouant la corde patriotique. Elle est, bien entendu, fabriquée sur la même chaîne de production que l’Ami, à Kénitra au Maroc.
Mais au delà de la visibilité médiatique, l’Ami a une autre mission : celle de préparer la clientèle de demain, de la fidéliser et de l’accompagner dans les nouvelles formes que la mobilité prendra dans le futur, gagnant au passage les cœurs de la jeunesse pour l’instant réticente à l’automobile. C’est là que prend tout son sens l’opération Ami : pour un investissement relativement faible et malgré une rentabilité dérisoire, Citroën se positionne habilement auprès des consommateurs de demain. C’est par ailleurs totalement cohérent avec le positionnement actuel de la marque, axé sur le fun et volontairement orienté vers une clientèle plus jeune. Cette image, loin de celle des Citroën « à papi » des années précédentes, est par ailleurs cultivée par des concept-cars d’un genre nouveau dédiés à la mobilité future. Le Citroën Skate en est ainsi l’exemple parfait. Alors, stratégie géniale ou simple coup d’éclat ? L’avenir nous le dira.
Le succès de l’Ami constaté en images par un journaliste des Echos :
Aller plus loin :
Citroën Ami Cargo :
Depuis le mois de juin 2021, l’Ami est disponible en version Cargo, à destination des entreprises ou des collectivités. Très proche de l’Ami classique, elle perd en fait son siège passager pour offrir un espace de chargement supérieur à 400 litres (selon la marque) et un astucieux système d’étagère : une façon d’élargir la gamme intelligemment sans dépense excessive : bien vu !
L’excellent site Hoonited a réalisé un essai au long cours de l’AMI : un « must read » à découvrir ici
Ventes monde Ami :
Ventes 2020 : 2 719 ex.
Ventes 2021 : 9 183 ex.
Marché du VSP en France en 2020 :
2020 | ||
Marque | Volume | Variation |
Aixam | 6 342 | -5 % |
Citroën | 2 609 | |
Microcar | 2 493 | -14 % |
Ligier | 2 341 | 1 % |
Chatenet | 495 | 3 % |
Renault | 417 | 29 % |
Casalini | 380 | 15 % |
Bellier | 93 | -9 % |
Linhai | 87 | 21 % |
Eglmotor | 48 | |
Sanyefuxin | 39 | 3 % |
Jiayuan | 23 | |
Anaig | 18 | -63 % |
Autres | 44 | |
Total | 15 429 | 15 % |