Malgré la sortie en 1961 d’une Ami 6 à peine plus haut de gamme qu’une 2CV, Citroën traverse les années 60 sans véritable voiture médiane. Ce n’est pas faute d’essayer mais chaque projet (C60, projet F) finit à la poubelle faute de trouver le juste milieu. Lancé en 1967, le projet G va accoucher en un temps record d’une GS intéressante et moderne, mais manquant cruellement de souffle. Pourtant, malgré sa gestation éclair, la GS va séduire les citroenistes en leur apportant enfin une voiture globalement fiable et conforme à l’idée qu’ils se font de leur marque fétIche, avec, cerise sur le gâteau, la suspension hydraulique pour tous. En point d’orgue une étonnante et éphémère Birotor devenue collector en moins de temps qu’il n’en faut pour la produire.
Production (1970-1981) : 1 896 742 GS et 847 Birotor (1973-1975)
Dont : 1 483 511 berlines, 391 243 breaks et 21 988 breaks Service
Lieux : Rennes (35), Vigo (Espagne, 1978-1979, 88 379 ex), Mangualde (Portugal, 1978-1980, 3 570 ex), Koper (Slovénie, 1978-1980, 14 520 ex), Port Elizabeth (Afrique du Sud, 1978, 1 305 ex), Arica (Chili, 1979, 765 ex), Alun (Indonésie, 1978-1981, 2 760 ex), Bangkok (Thaïlande, 520 ex), Mozambique (1979, 465 ex)
Dix ans pour réagir
Durant les années 50, Citroën avait pu survivre avec seulement deux modèles : la 2CV en entrée de gamme et le duo DS et ID en haut de gamme. Cependant, les évolutions du marché et les aspirations d’une nouvelle classe moyenne imposent désormais d’élargir l’offre avec des voitures moyennes s’intercalant entre les grandes routières et les populaires. Pierre Bercot et l’état major Citroën l’avaient bien compris, mais préférèrent rester prudents en lançant une Ami 6 qui n’était qu’une Super 2CV plus qu’une vraie voiture de milieu de gamme (6 CV). Consciente des limites de l’opération, Citroën va donc lancer un programme plus ambitieux nommé C60 en 1960, remplacé par la suite par le projet F, lui-même annulé en 1967. C’en est trop pour Pierre Bercot, qui fixe alors une date butoir, 1970, pour l’aboutissement du programme G qui doit aboutir à une berline d’envergure sur le segment visé.
Un projet lancé en urgence
Il faut dire qu’à force de tergiverser, la firme aux chevrons se retrouve distancée aussi bien globalement (4ème constructeur français derrière Renault, Peugeot et Simca) que sur l’innovation (Renault 16, Peugeot 204 ou Simca 1100 en sont les exemples les plus frappants). Citroën n’a plus rien lancé de novateur depuis 1955 et la DS et vit d’une certaine façon sur ses acquis. Le programme G va donc être l’occasion de rattraper le retard, mais aussi de frapper un grand coup grâce au moteur à piston rotatif sous licence Wankel et développé avec NSU dans les co-entreprises Comobil (1965) et Comotor (1967). Dans le même temps, Javel prépare un coupé GT de prestige doté d’un moteur V6 Maserati (la future SM) : il était temps que la firme se réveille. Robert Opron, aux manettes du style depuis la mort de Flaminio Bertoni en 1964, va enfin pouvoir s’exprimer et signer en 6 mois un design novateur. Si les traits de la GS s’inspirent du restylage des DS et ID de 1967, ils sont cependant plus modernes, et s’approchent de ce que deviendra la future CX. Elle conserve en tout cas cette silhouette élancée, deux volumes, et se prive bêtement d’un hayon pourtant plébiscité par la clientèle. Pierre Bercot s’y oppose toujours malgré l’échec de l’Ami 6 Berline, prétextant l’aspect utilitaire d’un tel artifice.
L’hydropneumatique pour tous
Techniquement, la GS est particulièrement évoluée malgré son niveau de gamme. Ainsi, elle récupère la suspension hydraulique jusqu’alors réservée aux grandes DS et ID, mais aussi le freinage (disques aux quatre roues). Confort, tenue de route, sécurité, la GS a tout d’une grande. Sous le capot, elle hérite d’un tout nouveau 4 cylindres à plat en alliage de 1 015 cc développant 55,5 chevaux DIN, en attendant le porte-étendard. Ces deux moteurs permettent à la GS d’obtenir un centre de gravité plus bas et un profil élancé mais le “petit” 1 015 est un peu à la peine pour les 925 kg de la bête, malgré sa nervosité. A l’intérieur, le tachymètre “pèse-personne” renforce le côté futuriste de la voiture tandis que le confort n’est pas un vain mot. Face à la concurrence, la GS a donc des armes : les Renault 12, Peugeot 204 et 304 ou Simca 1100 ne lui font pas peur.
La vedette de l’année
La GS est d’abord présentée à la presse le 24 août 1970, puis au personnel de Rennes-La-Janais où elle sera produite aux côtés de récentes Ami 8. Le grand public, lui, ne la découvre qu’au Salon de Paris, en octobre, où Citroën fait fort puisque la nouvelle voiture moyenne côtoie la grande SM à moteur V6 Maserati. Après dix années sans vraie nouveauté (mettons à part l’Ami 8 et la M35), le stand des chevrons a fière allure et la marque entend bien redevenir le 3ème constructeur français. Cette ambition est renforcée en décembre 1970 avec l’élection de la GS comme voiture de l’année 71 par un panel de journalistes européens. La voiture séduit rapidement la clientèle fidèle de la marque mais aussi plus largement : sa ligne moderne détonne avec les classiques tricorps de chez Renault ou Peugeot, tandis que la Simca 1100 s’avère plus petite. Enfin, si la suspension hydraulique, jugée complexe, fait peur à certains clients, elle permet à la GS d’égaler les grandes Citroën en confort comme en tenue de route. Seul le moteur peine à convaincre, manquant singulièrement de puissance et de couple.
Succès immédiat
L’année 1971 est la première année pleine de la GS. Avec 12 620 voitures produites l’année précédente (l’industrialisation n’a commencé qu’à l’automne), difficile de juger. Or la GS réalise un bon début de carrière avec 158 175 exemplaires, dépassant ainsi la Peugeot 304. Sa gamme reste limitée à la Club (entrée de gamme) et à la Confort, mais elle reçoit en février la possibilité de recevoir en option un convertisseur de couple hydraulique Ferodo. En juillet, c’est le break qui fait son apparition, offrant un beau volume de chargement et cette cinquième porte qui manque tant à la berline. Peu à peu, la berline Citroën rentre dans le paysage automobile français et vient contrarier l’ordre établi.
La gamme s’élargit
En 1972, la GS évolue sérieusement pour la première fois. Outre l’apparition en janvier d’un break Service tôlé (Club) ou vitré (Confort), elle reçoit surtout en septembre un nouveau moteur de 1 222 cc et 60 chevaux en complément du petit 1 015. Avec quelques chevaux en plus et un couple supérieur grâce à l’augmentation de la cylindrée, elle compense un peu son manque de souffle initial. La gamme se réorganise alors en GS (1 015), GS 1 220 et GS 1220 Club. Entre le break et cette nouvelle motorisation, les ventes décollent pour atteindre 195 138 unités. Cette progression se vérifie encore l’année suivante avec 223 067 voitures produites à Rennes. La GS vole de succès en succès, ou presque. Présenté en septembre 1973, le haut de gamme GS Birotor (Projet GZ) peine de son côté à séduire : la crise pétrolière arrive au mauvais moment (voir encadré).
Citroën GS Birotor
Le projet GZ est conduit conjointement à celui de la GS dont il reprend la caisse avec quelques modifications stylistiques. Il est l’aboutissement des lourds investissements consentis par Citroën avec son associé NSU dans le moteur à piston rotatif. Un premier essai avait été mené en 1969 avec l’étrange M35 mais la GS Birotor est plus ambitieuse : elle doit coiffer la gamme GS en étant plus performante, différente techniquement, et bien entendu plus luxueuse. La CX doit elle-aussi recevoir une telle motorisation (elle n’en sera finalement jamais dotée). Le moteur développé par la Comotor est un Birotor Wankel de 995 cc développant 107 chevaux implanté en position transversale et accolé à la boîte à convertisseur de couple 3 rapports. Cette GS un peu spéciale reçoit le train avant de la futur CX pour supporter ce nouveau moteur, et ses ailes s’élargissent en conséquence. La Birotor peut ainsi atteindre 175 km/h et s’équipe de disques de frein ventilés à l’avant. Cependant, avec un tarif stratosphérique, une consommation d’essence (mais aussi d’huile) totalement déplacée en cette période de crise pétrolière et une fiabilité toute relative, la GS Birotor fait un flop : seules 847 exemplaires seront vendus. Peugeot condamnera définitivement l’aventure Wankel au début de l’année 1975.
1974 : annus horribilis
Justement, les choses se gâtent en 1974. Non seulement la Birotor ne séduit pas, mais la crise touche durement l’automobile en général et Citroën en particulier. Son actionnaire principal, Michelin, cherche à se débarrasser d’une coûteuse danseuse qui perd beaucoup trop d’argent. Après avoir tenté de la marier avec Fiat et essuyé le refus du gouvernement français, il faut trouver une autre solution ou déposer le bilan. Des négociations sont engagées avec Peugeot (un peu contraint par l’État) qui s’engage en juillet 1974 à intégrer Citroën au sein d’un nouveau groupe, PSA (le rachat se fera de façon progressive et accompagné par Michelin jusqu’en 1976). Pour la GS, cela ne change pas grand-chose malgré la baisse de la production (170 829 unités), si ce n’est l’arrêt de la Birotor. Elle s’offre pourtant trois nouvelles déclinaisons en septembre : la GS X disposant du 1 015 cc mais au look un peu plus dynamique, la GS X2 qui, elle, voit son 1 222 poussé à 65 chevaux, et enfin la Pallas à la finition plus haut de gamme. Elle doit désormais composer avec une CX au-dessus d’elle, mais aussi avec une Ami Super lancée en janvier 1973 et dotée elle-aussi du quatraplat 1 015 cc.
Retour à la normale
Passé le choc de la crise pétrolière et du rachat par Peugeot, la GS rebondit en 1975 (218 005 exemplaires) et reçoit un léger lifting en septembre 1976 (notamment les feux arrière et la calandre) et perd son originalité à l’intérieur : les compteurs classiques remplacent le fameux “tambour”. Pas de quoi effrayer le client cependant puisque les ventes continuent de progresser, six ans après le lancement : une situation rare qui perdurera jusqu’en 1978, année record pour la GS (259 787 unités). Entre-temps, le 1 015 cède sa place à un 1 129 cc de 56 chevaux DIN (0,5 cheval de plus, mais surtout un peu plus de couple) en septembre 1977. En 1978, la GS a enfin droit à une production internationale. La plus importante se trouve à Vigo, destinée à alimenter le marché hispanique mais de nombreuses petites unités montent la voiture en CKD (kits envoyés de France et assemblés localement) : Portugal, Yougoslavie (Cimos), Afrique du Sud, Chili, Indonésie, Chili, Thaïlande ou Mozambique. En avril, Citroën lance la seule série spéciale sur la gamme GS : l’étonnante Basalte (voir encadré). En septembre, la X3 remplace la X2. Avec son moteur porté à 1 299 cc, elle offre plus de couple mais reste bloquée à 65 chevaux.
Citroën GS Basalte
La Basalte est la seule et unique série spéciale réalisée sur la base de la GS et découle non d’une volonté de booster les ventes, mais plutôt d’un besoin spécifique et original. En effet, au début de l’année 1977, Citroën espère encore sauver les meubles aux Etats-Unis en important sa CX mais aussi sa petite GS. On bricole alors une version Export USA dont l’accastillage est commandé. Hélas, la firme renonce finalement au marché américain en décembre sous l’amicale pression de Peugeot qui privilégie ses 504 et 604 au détriment de la CX (et par ricochet de la GS). Avec un certain nombre d’équipements sur les bras, Citroën va habilement s’en débarrasser en lançant la Basalte en avril 1978. Seuls 1 800 exemplaires, produits entre le 5 et le 20 avril, sont concernés. Outre une décoration voyante (peinture noire avec stickers oranges striés sur les bas de caisse), elle offre donc un équipement presque luxueux : essuie-phares avant, enjoliveurs Inox Pallas, anti-brouillard, vitres teintées, toit ouvrant, lunette arrière dégivrante, appuis tête (avant), radio K7 ainsi qu’une sellerie spécifique. Elle dispose du 1 222 cc de 60 chevaux (comme la Pallas). C’est aujourd’hui une vraie rareté.
La vie continue avec la GSA
Malgré le record de production enregistré en 1978, la GS est en fin de carrière, du moins sous sa forme originelle : mandatée par Citroën, la carrosserie Heuliez peaufine une nouvelle version (dotée, elle, d’un hayon) prévue pour septembre 1979 : la GSA. La GS résiste tout de même avec 168 582 exemplaires produits mais elle ne subsiste à l’automne qu’en version d’entrée de gamme. Moins de 10 000 voitures seront fabriquées en 1980, pour quelques ventes et les CKD (jusqu’en 1981). Si la GS disparaît, la GSA très proche techniquement continue (et ce jusqu’en 1986), preuve de l’excellente base originelle. Avec 1 896 742 exemplaires sur une carrière de dix ans, la GS aura fait rentrer Citroën en force dans un segment qu’elle ignorait jusqu’alors.
Photos : Citroën, Car Brochure Addict, DR