C’est en plein milieu de la Seconde Guerre Mondiale, et alors que ses salariés sont très impliqués dans la résistance passive ou active, que Peugeot décide de son avenir pour l’après-guerre en jugeant la voie du milieu la plus attractive, définissant la politique de la maison pour les 20 à 30 années à venir. Ce choix judicieux, réfléchi et prudent fera le succès de Peugeot qui passera, grâce à la 203 puis ses héritières, de la 4ème place du marché à celui d’ogre, achetant coup sur coup dans les années 70 Citroën puis Simca, et devenant l’égal d’un Renault pourtant soutenu par l’Etat. L’occasion de revenir sur cette voiture fondatrice qu’est la vaillante et fidèle 203.
Production (1949-1960) : 699 163 exemplaires (utilitaires compris)
Une politique définie pendant la guerre
C’est donc en 1942 que tout se joue pour Peugeot. Malgré la guerre, l’occupation, la résistance (et l’appétit de la famille Porsche pour piller l’entreprise qui laissera une rancoeur tenace chez les Peugeot et expliquera le refus de céder le 901 dans les années 60), l’avenir est sérieusement envisagé tant la chute de l’Allemagne semble déjà inéluctable (du moins chez les dirigeants du constructeur et notamment la famille). Malgré le succès de la berline 202 sur le segment des 6 CV et l’ambition d’une voiture plus statutaire de 10 CV (voire plus puisqu’une 802 à moteur V8 est envisagée), la décision est prise cette année-là de tout miser sur une catégorie intermédiaire qui semble prometteuse : celle des 7 CV.
Rétablir l’outil de production
En effet, la famille Peugeot et ses cadres ou ingénieurs redoutent d’attaquer frontalement Citroën à la Libération, considérant que la Traction a encore de beaux jours devant elle tandis qu’elle n’ignore rien du projet TPV brièvement présenté avant guerre et qui laisse envisager le succès parmi les populaires. Peugeot juge donc plus prudent d’attaquer un segment qui lui paraît le meilleur compromis entre les besoins du marché à venir, le volume de production et la rentabilité. Plutôt que de miser sur la créativité stylistique, ou la modernité technologique, Peugeot va préférer faire du Peugeot : offrir aux clients une valeur sûre, fiable, durable et dont le coût d’utilisation fera la force.
Peugeot 203 RA et 203 RB, la “jeep” franc-comtoise
Au début des années 50, l’Armée Française cherche à remplacer ses Willys issues de la Seconde Guerre mondiale. En 1949, Peugeot part de la base d’un utilitaire 203 pour plancher sur sa vision propre vision d’un véhicule de liaison tout-terrain mais Delahaye remporte le marché avec sa VLR. Mais rapidement, le véhicule se révèle mal adapté et l’Armée lance un nouvel appel d’offres. Peugeot développe la 203 RA, puis RB : 11 VSP (véhicule de servitude Peugeot) seront produits pour évaluation, mais l’Armée préfèrera la proposition plus simple d’Hotchkiss, la M201 (une Willys sous licence).
Peugeot à l’assaut des véhicules « moyens » de 7 et 8 CV
Dès janvier 1944, les études stylistiques commencent, tandis que les ingénieurs planchent sur la future voiture. Contrairement à Citroën et même à Renault, les usines de Peugeot ont beaucoup souffert de la guerre et la voie choisie semble la mieux adaptée pour se relancer sans s’éparpiller sur plusieurs modèles. A la Libération, il s’agit de reconstruire l’outil de production, de relancer la machine, puis lancer au plus vite la future 203 dont le nom est défini en avril 1945. Pour le style, on s’inspire des américaines (en plus petit) : il est enfin défini en 1946. Alors que le Plan Pons est en cours de définition, Peugeot est renforcé dans son choix et fait en sorte que lui soit attribué le fameux segment des voitures moyennes, entre 7 et 8 CV (Peugeot n’en sortira qu’en 1965 avec le lancement de la 204 suivi rapidement de la 304).
Une 203 classique et fiable, une Peugeot quoi
Alors que la 202 reprend du service, la 203 se prépare avec une définition technique sérieuse : roues avant indépendantes, mais essieu arrière rigide, coque autoportante, et un petit moteur 4 cylindres de 1 290 cc délivrant 42 chevaux accolé à une boîte 3+1 (la 4ème est surmultipliée). Rien de révolutionnaire, donc, mais l’assurance de la sobriété et d’une économie d’usage importante grâce à son coût d’utilisation soigneusement étudié. En mai 1947, un première fournée de présérie est produite pour valider les choix et l’outil industriel. Si les journalistes ont la primeur d’un prototype fin 1947, le public devra attendre le salon de Paris d’octobre 1948 pour découvrir la nouvelle Peugeot. Cependant, la clientèle doit encore patienter : la pénurie d’acier empêche un lancement dans la foulée. Ce n’est qu’en mars 1949 que les premières 203 de série sortent des chaînes de Sochaux-Montbelliard. A la berline à toit ouvrant s’ajoutent rapidement une berline découvrable ainsi qu’une version “Affaires” plus accessible et orientée vers les professionnels. En octobre 1949, c’est au tour des utilitaires de faire leur apparition (Fourgonnette, Commerciale, Camionnette bâchée, ou Ambulance, entre autres).
Peugeot 203 Cabriolet (1951-1956) : 2 567 exemplaires
Si Peugeot a fait le pari du modèle unique, il n’en oublie pas de le décliner à toutes les sauces possibles. Aux côtés des versions utilitaires, des berlines ou des familiales, on trouve à partir de 1951 un superbe cabriolet, à même de séduire une clientèle plus aisée. Si la ligne est particulièrement réussie, le modèle est particulièrement cher puisqu’il coûte presque deux fois le prix d’une berline, tout en partageant avec elle le petit 1,3 litre de 42 chevaux (45 à partir de 1952). Résultat, il se vend au compte-goutte et quitte le catalogue au lancement de la 403 cabriolet (qui fera pourtant pire en termes de vente).
Succès commercial sans précédent
Petit à petit, la 203 fait son trou dans le paysage automobile français, d’autant que la concurrence ne réagit que tardivement : il faut attendre mi-1951 pour voir Simca rétorquer avec son Aronde tandis que la Peugeot élargit sa gamme avec un cabriolet en fin d’année. Un an plus tard, c’est au tour du coupé de faire son apparition au catalogue. Ce dernier le quittera pourtant bien rapidement puisqu’en avril 1954, cette version est supprimée après seulement 953 exemplaires. Malgré cet échec, la 203 poursuit son bonhomme de chemin et séduit une clientèle un brin conservatrice, certes, mais sûre de son achat malin. Étrangement, le cabriolet est, lui, reconduit malgré des ventes très modestes. Pas pour longtemps cependant, puisqu’il est supprimé en mars 1956.
Peugeot 203 Coupé (1952-1954) : 953 exemplaires
La 203 coupé est une erreur de casting. Si Peugeot a parfaitement positionné la 203, ce n’est pas le cas du cabriolet, on l’a vu, et encore moins du coupé qui n’apporte pas grand chose à la gamme. Non seulement il coûte cher, mais sa ligne est controversée. D’autant que ce faux-cabriolet n’offre pas beaucoup de place à l’arrière. Il ne restera pas longtemps au tarif : d’octobre 1952 à avril 1954 : une étoile filante.
Le parfum de la nostalgie
Il faut dire qu’entre temps, Peugeot a présenté puis lancé la 403, en 1955. Cette dernière se veut un cran au-dessus (8 CV) et poursuit la politique du produit quasi-unique. Certes, la 203 ne disparaît pas tout de suite, mais elle devient l’entrée de gamme Peugeot. Elle durera encore cinq années de plus, ne quittant les chaînes de fabrication qu’en février 1960 (peu de temps avant le lancement de la 404). Avec près de 700 000 exemplaires produits entre 1949 et 1960, la 203 aura validé la politique prudente de Peugeot et indiqué la voie à suivre jusque dans les années 70 (avec le lancement de la 104 et de la 604, Peugeot proposera enfin une gamme complète à ce moment-là). Son style américain tranche avec les lignes plus italiennes de ses héritières mais elle garde le charme des années 50 si caractéristique, d’autant qu’elle a quasiment disparu de nos routes, quand les 403, 404 ou 504 se croisent de temps en temps.
Photos : Peugeot, DR