Aussi étonnant que cela puisse paraître, la Roumanie (pourtant membre du Pacte de Varsovie et du Comecon) n’aura pas pour fournisseur militaire unique l’URSS. Sous la houlette du dictateur Nicolas Ceausescu, le pays s’est en effet doté d’une industrie aéronautique avec l’aide de la France dans les années 70. Il en résulte un superbe hélicoptère dénommé IAR 330, bien connu chez nous comme le SA 330 Puma.
Le trublion du Pacte de Varsovie
Cela peut paraître incongru qu’en pleine Guerre Froide, un pays membre du Pacte de Varsovie s’équipe en hélicoptères occidentaux et qu’un pays comme la France, pourtant membre de l’OTAN (bien que retirée du commandement intégré depuis 1967), puisse lui en fournir aussi aisément. Tout cela résulte de convergences d’intérêts en cette fin des années 60 puis ce début des années 70. Pour Ceausescu, il faut à tout prix industrialiser la Roumanie, d’une part, mais aussi préserver une certaine indépendance vis-à-vis de l’URSS. Le dictateur roumain est une sorte d’électron libre parmi les nations d’Europe de l’Est, et il se rêve en une sorte de Tito (même si la Yougoslavie n’a jamais fait partie du Pacte). Ainsi, pour développer l’industrie automobile nationale, Ceausescu fera appel à Renault qui lui fournira une toute nouvelle R12.
Dacia 1300
En 1966, Renault remporte l’appel d’offre roumain pour la fourniture d’une voiture moderne et de son outillage afin de créer une nouvelle marque automobile, Dacia. Il s’agit de fabriquer sur place la Renault 12 (qui n’est même pas encore sortie en France), offrant ainsi une voiture moderne au peuple roumain. Dans un premier temps, quelques Renault 8 seront fabriquées sous le nom de Dacia 1100, avant que la 12 ne pointe le bout de son nez en 1969. Quelques estafettes seront également produites et même la Dacia 2000 (une R20 rebadgée) pour les pontes du parti. Mais c’est la 1300 qui restera la vedette jusqu’au rachat par Renault en 1999.
Opportunisme stratégique du côté français
Du côté français, on perçoit la Roumanie comme le maillon faible du Pacte de Varsovie. En outre, on cultive une sorte de troisième voie en créant des liens avec des pays pourtant ouvertement communistes (Yougoslavie, Roumanie) avec le secret espoir de les voir basculer dans le camp occidental. C’est aussi une manière de conforter ses ventes d’armes aux pays non-alignés en montrant une certaine neutralité (de façade). Enfin, si la technologie française en matière de voilures tournantes est réputée, il ne s’agit pas de matériel sensible à l’espionnage et au rétro-engineering. Tout semble donc parfait pour une collaboration qui va se matérialiser par un accord de licence entre l’Aérospatiale nouvellement créée (issue de la fusion de Sud-Aviation et de Nord-Aviation) et la société roumaine IAR (Industria Aeronautica Romania) installée dans le piémont des Carpates, à Brasov. Le premier accord entre les deux parties portera sur la fabrication à Brasov de l’Alouette III sous le nom d’IAR 316.
IAR 80
Créée en 1925, IAR commence à produire ses premiers avions dans les années 30. En 1939, la société lance l’IAR 80, un avion de chasse monoplan, monocoque et entièrement métallique, qui se veut au niveau des chasseurs de la même époque : Dewoitine D520, Hawker Hurricane ou Messerschmitt Bf109. Dans la réalité, il s’avère un peu inférieur mais ne rougit pas de la comparaison. Malgré des soucis de jeunesse qui reculeront la mise en service à 1941, il sera un des succès de l’IAR, avec 450 appareils produits. A la fin de la guerre, IAR se reconvertit essentiellement dans la production de machines agricoles avant de revenir à l’aéronautique sous l’impulsion de Ceausescu avec la production de l’IAR 316.
IAR 316
Le premier hélicoptère français produit sous licence par IAR fut donc l’Alouette III, une réussite aéronautique reconnue du monde entier pour sa robustesse et ses capacités de vol en haute altitude (notamment). Il sera produit de 1971 à 1987 à 250 exemplaires, et exporté notamment en Angola.
Succès à l’export
Après une compétition de pure forme face au Sikorsky S-61, le Puma remporte la mise en 1974. Il s’agit d’un hélicoptère de transport moyen dont les premiers exemplaires sont entrés en service en 1969 dans l’armée française; Robuste, rustique, efficace, il est motorisé par deux turbines Turboméca de 1 576 chevaux chacune (IAR en avait aussi la production sous licence). En 1975, les premiers exemplaires sortent des ateliers de Brasov et séduisent plus largement une clientèle désireuse d’un hélicoptère performant sans s’adresser directement à la France, la Grande Bretagne, les USA ou l’URSS. Le premier client export sera le Kenya, dès 1978. Dans les années 80, la liste s’allongera au Liban, au Pakistan et au Soudan. Dans les années 90, les Emirats Arabes Unis signeront eux aussi un contrat (10 exemplaires, complétés par 10 autres dans les années 2000). La Côte d’Ivoire fermera le ban des clients au début des années 2000. En tout, près de 250 exemplaires seront produits entre 1975 et 2008, l’essentiel destinés à l’armée roumaine et à sa marine.
Une version SOCAT impressionnante
L’IAR 330 sera proposé en plusieurs versions. Tout d’abord l’IAR 330H, premier de la lignée, produit à 15 exemplaires jusqu’en 1977. A partir de cette date commence la production de l’IAR 330L, une version légèrement améliorée qui correspond à l’essentiel des livraisons (165 exemplaires dont les premiers 330H remis à niveau). Pour les Emirats (20 exemplaires), une version 330 SM (avec des turbines Makila) est spécialement développée. Au début des années 2000, IAR dérive du 330 une version d’assaut doté d’une avionique revue et corrigée par la société israélienne Elbit. Avec son canon et ses capacité Air-Sol, le SOCAT (tel est son petit nom) est une engin réellement impressionnant et toujours moderne aujourd’hui. 25 exemplaires seront livrés à la Roumanie.
Le Super Puma pour successeur
Peu de temps après, en 2005, 12 exemplaires de l’IAR 330L seront transformés en IAR 330M dotés de la même avionique que le SOCAT. Au même moment, IAR met au point le 330 Naval, dont 3 exemplaires sont confiés à la Marine roumaine. Aujourd’hui, la plupart des IAR 330 sont encore en service en Roumanie, bénéficiant de l’excellente base que représentait le Puma français et d’améliorations successives lui permettant d’être encore d’actualité. Depuis 2008, IAR a signé un accord avec Airbus pour fabriquer dans une joint-venture, Eurocopter Romania, le successeur du Puma, aka le Super Puma (H225).