Parmi les nombreuses versions de la Citroën CX, la Prestige tient une place à part. Véritable héritière des DS 23 dont elle reprend la mécanique (jusqu’en 1983), elle donne à la gamme CX le prestige (justement) qui lui manquait pour affronter les Peugeot 604 et Renault 30 équipées du V6 auquel elle n’aura jamais droit. Luxueuse et de plus en plus puissante, la CX Prestige connaîtra pas moins de 6 versions différentes jusqu’en 1989, et une célébrité tardive grâce à la traversée de Paris d’un certain Jacques Chirac, fraîchement élu président de la République. Ironie de l’histoire, c’est un autre président, Valéry Giscard d’Estaing, qui introduisit la Prestige dans le cheptel de l’Elysée.
Production (1976-1989) : 22 674 exemplaires
Dont : 6 214 CX 2400 Carbu, 11 669 CX 2400 injection, 3 601 CX 2500 injection, 1 190 CX 2500 Turbo injection
3 Landaulets et environ 17 Prestige Chapron
Lieu : Aulnay-sous-Bois (93)
Des idées, faute de moteurs
Lancée en 1974, la Citroën CX se voit privée de prestigieux moteurs. Prévue pour disposer d’un moteur à piston rotatif Wankel développé par la Comotor (coentreprise de Citroën et NSU), elle n’aura droit, à sa sortie, qu’à des moteurs déjà bien connus et anciens : le 1 985 cc 102 chevaux de la DS 20 et le 2 175 cc de 112 chevaux de la DSuper 5. Alors que la DS s’offrait des moteurs à injection, la CX se contente de carburateurs. Seule sa ligne ultra-moderne la sauve de ce que l’on pourrait appeler une régression. Cependant, à défaut de moteur, on a des idées chez Citroën. Alors qu’une version break à l’empattement rallongé est en préparation, on songe à profiter de cette aubaine pour proposer une limousine à une clientèle soucieuse de confort, de luxe et de distinction. Avec l’aide d’Heuliez, Citroën va donc concevoir la CX Prestige qui, pour l’occasion, ressort le moteur de la DS23 dans sa version carburateur : le 2 347 cc qui sort 115 chevaux. C’est à peine 3 de mieux que la CX 2200, mais le couple supérieur sied mieux à la grande berline dont la longueur atteint désormais 4,90 mètres (contre 4,66 pour la CX classique). Elle est disponible avec une boîte mécanique à 4 vitesses mais aussi une boîte automatique 3 vitesses en option.
Remplacer la DS
Si la Prestige n’est pas encore un avion de chasse, et si la mécanique n’est pas aussi prestigieuse que le V6 des récentes Renault 30 et Peugeot 604, son habitabilité et son luxe la rendent particulièrement séduisante pour des grands patrons, hommes d’affaires ou ministres plus souvent installés à l’arrière. Avec ses deux fauteuils en lieu et place de la classique banquette et l’espace disponible pour les jambes, elle a tout du bureau roulant. Certes, la clientèle est limitée mais grâce à la CX Prestige, la DS qui a définitivement quitté les chaînes de Citroën est enfin remplacée dans le haut de gamme. La nouvelle voiture est présentée au Salon de Paris 1975 et officiellement commercialisée en février 1976.
Contre toute attente, les nostalgiques de la DS sont bien au rendez-vous, avec 2 570 exemplaires vendus. D’ailleurs, l’un des plus célèbres sera Valéry Giscard d’Estaing qui se passe commande d’une version avec séparation chauffeur pour remplacer les DS 21 présidentielles, pourtant récentes mais jugées trop courtes pour les longues jambes du chef de l’État. Particularité de cette CX Prestige livrée à l’Elysée le 24 décembre 1976, comme un cadeau de Noël ? Son toit rehaussé et son moteur 2 347 cc à injection développant 128 chevaux DIN. En outre, l’intérieur est intégralement réalisé par Chapron (comme du temps de la DS 21 Prestige) avec intérieur séparé. Sur le même modèle, le carrossier livrera environ 15 ou 16 exemplaires à de riches clients, dont le tristement célèbre Général Pinochet.
Citroën CX Prestige Landaulet Chapron
L’histoire de la CX Landaulet commence en 1978 lorsque le président algérien Houari Boumédiène passe commande à la carrosserie Chapron d’un exemplaire de ce type sur la base d’une Prestige. Il s’agit d’un véhicule d’apparat qui garde la longueur d’origine et dont la partie arrière du toit peut se découvrir pour se tenir debout (grâce à une barre de maintien). Il s’agit abusivement d’un Landaulet puisque les arches de toit sont conservées : on devrait plutôt parler de découvrable. La voiture peut se refermer grâce à une capote classique ou à des panneaux de plexiglas. Pour le salon de Paris 1980, Chapron décide de construire un deuxième exemplaire pour exposer son savoir-faire en la matière. La direction de Citroën va ensuite commander un 3ème exemplaire pour transporter des visiteurs de marques, des clients importants ou au bénéfice de ses filiales. Il s’agit presque d’un véhicule publicitaire prêté pour les grandes occasions (mariages princiers, visites d’état) à la manière de DS aujourd’hui. Il se peut que ce 3ème modèle soit réalisé sur la base du deuxième, sans certitude.
La Prestige passe à l’injection
En 1977, la Prestige va évoluer sur le modèle présidentiel. Si la version carburateur est toujours disponible, il est possible d’opter pour l’injection et ses 13 chevaux supplémentaires. De même, les Prestige adoptent toutes le toit rehaussé inauguré par Giscard. Outre l’espace supplémentaire appréciable, cette petite astuce permet de rééquilibrer la ligne rendue trop aplatie par l’étirement de la carrosserie. Pour cette deuxième année de commercialisation, 3 335 Prestige vont être produites. Ce succès, vu l’étroitesse du marché, ne laisse pas indifférent Peugeot qui verrait bien sa 604 rallongée sur le même principe. Heuliez relève le défi et la 604 Limousine (dite HLZ) est présentée en 1978. Cependant, faute d’homologation, elle se vendra au compte goutte avant une vraie industrialisation à partir de 1980. Entre-temps, la CX Prestige, sa seule concurrente, s’installe un peu plus sur le marché avec 3 536 exemplaires produits en 1978, mais les ventes chutent en 1979 à seulement 2 573 unités. Cependant, Citroën a une idée de génie pour amortir le choc des années de crise : proposer une version Diesel à l’équipement simplifié, destinée à une clientèle plus professionnelle, appelée CX Limousine (voir encadré).
Citroën CX Limousine
Production (1979-1989) : 6 706 exemplaires dont 4 617 CX 2500 D et 2 089 CX 2500 TD
Si la Prestige visait une clientèle de grands bourgeois, la Limousine cherchait plutôt à toucher les sociétés de taxi ou de transport de personne , ou une clientèle de particulier désireux d’espace sans avoir les moyens de s’offrir une Prestige autrement plus coûteuse. Le Diesel avait permis de sortir la CX de l’ornière en séduisant les gros rouleurs et tombait à pic alors qu’un second choc pétrolier s’annonçait. La CX Limousine 2500 D est lancée dans le courant de l’année 1979 au prix de 70 200 francs (contre 86 600 pour la Prestige), avec une finition simplifiée correspondant au niveau Athéna. Son moteur 4 cylindres diesel développe 75 chevaux seulement, un peu limite pour les 1 400 kg de la bête qui n’atteint plus que 154 km/h (178 pour la 2400 Prestige). Au printemps 1983 cependant, une version Turbo Diesel vient renforcer l’offre avec 95 chevaux. Il faudra attendre février 1987 pour que ce moteur reçoive un échangeur air-air faisant grimper la puissance à 120 chevaux et transformant la CX en Diesel le plus rapide du monde.
Coup dur après la crise pétrolière
Malgré le lancement enfin effectif de la 604 Limousine en 1980, La CX Prestige garde sa place de leader sur le segment (1 751 unités en 80, 1 710 en 81) mais subit le contrecoup de la crise pétrolière de la fin 79. Si les ventes sont compensées en partie par la Limousine Diesel, jamais plus la Prestige ne retrouvera son niveau de la fin des années 70, et ce malgré l’arrivée de nouvelles motorisations. Ainsi apparaît en 1983 un nouveau moteur. Il s’agit toujours du bloc issu de la DS à injection mais réalésé à 2 500 cc (pile poil) et développant désormais 138 ch (disponible désormais avec une BVA ZF au lieu de la boîte C-Matic). En 1984, seul ce moteur est disponible sur la Prestige (BVM en option) mais les ventes s’effondrent : 974 ventes seulement mais c’est toujours mieux que Peugeot qui jette l’éponge avec la 604 Limousine. Heureusement, la gamme va encore évoluer l’année suivante.
Citroën CX Break Evasion Heuliez
En 1978, Heuliez présente au Salon de Paris la CX Evasion, sur la base d’un break équipé du soit du 2400 carbu, soit du 2400 injection, soit enfin du 2500 Diesel. Il est disponible en deux longueurs : normale (496 cm) ou longue (512 cm). L’intérieur est traité luxueusement, s’approchant du traitement de la Prestige sans accorder aux passagers arrière le même espace aux jambes, privilégiant la taille du coffre. Quelques exemplaires seront produits entre 1978 et le tout début des années 80 et sont, en quelque sorte, le pendant break de la Prestige. Le nom d’Évasion sera repris pour les breaks CX lorsqu’ils seront sous-traités chez Heuliez entre 1989 et 1991. On retrouvera ce patronyme chez Citroën en 1994 avec le monospace Evasion.
Du tonus grâce au Turbo
Avec l’arrivée du Turbo, le M25 prend un sacré coup de fouet : 168 chevaux et un couple à la hausse, faisant de la Prestige Turbo un avion de chasse presque aussi performant que les berlines GTI Turbo dotées du même moteur (223 km/h). La voiture a déjà plus de dix ans de carrière et s’offre enfin la puissance nécessaire. Malgré la sortie d’une nouvelle concurrente française, la Renault 25 Limousine encore produite par Heuliez pour le compte de la Régie, la Prestige tient encore la route (1 085 ex dont 215 Turbo).
La dernière du genre
Cependant, la fin de vie de la CX est proche et celle de la Prestige aussi. Elle conserve la confiance de certains (Jacques Chirac fera commander sa voiture par la Mairie de Paris en 1988) mais l’heure n’est plus tout à fait à la fête et ce segment ne va pas tarder à disparaître, du moins chez les françaises. Renault abandonne dès 1986 après à peine plus de 800 voitures produites et ne subsiste plus que l’infatigable CX et son châssis long. Les dernières modèles (54 voitures également réparties entre 2500 Automatique 138 et Turbo 168) tombent des chaînes en 1989 alors que la XM se prépare à débarquer dans les concessions, sans version longue prévue au planning. Au total, 22 674 CX Prestige auront trouvé preneur entre la toute fin 1975 et 1989, dont seulement 1 190 versions Turbo, la plus rare et la plus recherchée aujourd’hui.
Photos : Citroën Héritage, André Leroux, Heuliez, Chapron, Artcurial, Ikonoto, DR
4 commentaires
La Renault 25 habilla les années Mitterrand, mais il quitta l’Élysée en XM phase 2 sous le regard compatissant du nouveau président Chirac, le mercredi 17 mai 1995, le jour de la passation de pouvoir. Le nouveau président Mitterrand était arrivé à Paris, le 10 mai 1981, en Renault 30, depuis l’hôtel du Vieux-Morvan, à Château-Chinon. La CX Prestige, voilà une appellation un peu « plaqué or », choisie en dépit de l’étymologie. C’est le Gaffiot qui le dit, le « praestigium », c’est l’imposture, le charlatanisme. Le prestidigitateur a la même origine. La séduction définit aussi le prestige. Alors, quelle mouche a piqué Citroën pour qualifier ainsi une auto au dessin tant en rupture par l’interprétation réussie par Robert Opron de l’opus de Leonardo Fioravanti chez Pininfarina en 1967, année si féconde, pour une BMC 1800. Le tour de passe-passe, faire passer une CX pour une sorte de Daimler, de voiture luxueuse, mais dépourvue de mécanique noble ou avancée (le rotor). Voilà le coup de la DS qui continue. On lui reprend son bouilleur, comme on équipa l’auto des années 50 et 60 à partir de la mécanique, certes réadaptée plusieurs fois, de la Traction. Le son rejoignit l’image lorsque la CX devint Turbo et, qui plus est Concorde, une rareté. La CX Prestige, à l’empattement allongé sans alourdir l’ensemble passe par la case « Amérique » en couvrant le toit de vinyle, lointaine évocation d’un capotage de toile. Tout se trouve entre le pied-milieu et la custode, portière allongée signifiant la nouvelle fonction de l’auto. Elle est dédiée aux passagers, il lui faut donc un chauffeur. Voilà le leurre, faire accroire à une limousine avec chauffeur, à partir d’une belle et bonne berline bourgeoise. La déclinaison « Limousine » reprend l’effet Ford Granada/Consul, plutôt Simca Chambord/Beaulieu, mais au moteur diesel, même caisse, mais moins d’afféterie. La CX Prestige convient pour la nostalgie des années Giscard ou Chirac, c’est selon les convictions. L’affaire, c’est la Limousine 120 ch, une grande auto confortable. En tout cas, la sellerie des Prestige et Turbo n’avait pas grand-chose à envier au style appuyé des DS d’aujourd’hui. Au passage, Heuliez récidiva avec la R25 Limousine, mitterrandisant la 25 comme la Prestige Giscard-chiraquisa la CX dix ans auparavant.
La 25 est citée dans le texte cher ami 😉
Ah ! Flûte ! Je savais bien l’y avoir lu, ça m’apprendra à faire le malin, le fanfaron. Faudrait d’abord prendre tes articles en notes, ligne à ligne, avant d’étendre ensuite sa pâte. En rédigeant ma prose, je revoyais le logement pour serviettes ou mallettes derrière les passagers de la 25.
Tu vieillis Jean-Jacques, tu vieillis 😉