Avec la Bagheera, Matra avait enfin rencontré le succès commercial. Cependant, la petite sportive de Romorantin n’était pas exempte de tout reproche et son héritière devait impérativement corriger le tir afin de s’imposer à l’exportation, et notamment en Allemagne. Les ingénieurs de Matra cherchèrent donc à améliorer la même recette avec la Murena. Malheureusement, les difficultés du début des années 80 pour le groupe PSA empêchèrent la Murena de se faire une place au soleil, ne restant que quatre petites années au catalogue avant que Matra n’abandonne les sportives pour se concentrer sur sa nouvelle poule aux œufs d’or, l’Espace.
Production (1980-1983) : 10 680 exemplaires
Dont : 5 640 1.6, 4 560 2.2 et 480 S
Lieu : Romorantin (41)
Le projet M551 pour succéder à la Bagheera
Depuis sa création en 1964 sur les cendres des Automobiles René Bonnet, Matra s’est attachée à produire des sportives abordables et séduisantes, avec plus ou moins de réussite. Les Djet / Jet et 530 connaîtront un succès mitigé mais la Bagheera, lancée en 1973, sera, elle, une réussite commerciale avec près de 50 000 exemplaires vendus jusqu’en 1980. Les années 70 étaient propices aux coupés populaires (les Renault 15 et 17 puis Fuego en profiteront elles-aussi) et la proposition originale de Matra (un coupé 3 places à moteur central arrière) permettait à une clientèle avant-gardiste de s’offrir quelques frissons sportifs sans débourser des fortunes pour une italienne. Malheureusement, malgré de nombreuses qualités, la Bagheera souffrait de quelques défauts rédhibitoires : une finition très moyenne, une fiabilité laissant à désirer et une fâcheuse tendance à la rouille du châssis (une maladie malheureusement courante un peu partout dans l’industrie automobile). Aussi, l’équipe Matra se met au travail dès 1976 pour concevoir un nouveau modèle répondant au nom de code M551.
Ce projet reste sur les fondamentaux de la Bagheera : proposer une voiture sportive mais abordable grâce à l’utilisation de la banque d’organes Simca-Chrysler et à des volumes de production importants. Lorsque PSA rachète Chrysler-Europe en 1978 (se retrouvant par ricochet actionnaire de Matra Automobiles à hauteur de 45 %), le projet suit son cours : contrairement aux idées reçues, Peugeot a de l’ambition pour Simca (rebaptisée Talbot à l’été 1979) comme pour Matra, du moins au début. Elle ira jusqu’à sponsoriser l’écurie Ligier en Formule 1. La réalité rattrapera le nouveau groupe, mais c’est une autre histoire.
Une sportive accessible
Le programme M551 suit donc son cours, mais avec des aléas. Si la conception de la voiture en tant que telle est assez simple, se basant sur la Bagheera (châssis métallique, carrosserie en plastique, moteur central arrière, trois places de front) et le design élégant rapidement figé, la question du moteur est rapidement posée. Les dirigeants de Matra, dont Philippe Guédon, plaident pour l’utilisation du tout nouveau moteur de la Française de Mécanique, société commune avec Renault : un 2 litres tout alu nommé Douvrin, qui délivre 110 chevaux. Malheureusement, Renault refusera ce moteur à la Murena, se réservant l’exclusivité pour la Fuego. La Murena devra se rabattre sur un moteur Chrysler-Simca, réalésé à 2.2 litres et développant 118 chevaux. En entrée de gamme, on opte pour un 1.6 litre Chrysler de 92 chevaux. Si le premier offre des performances intéressantes, le second déçoit, vu les capacités de la Murena. La suspension avant vient de la Solara, tandis qu’à l’arrière on utilise la même méthode qu’avec la Bagheera : bras tirés et ressorts hélicoïdaux.
Des débuts encourageants
La ligne est plus moderne que sa devancière. Dessinée par Antoine Volanis (comme la Bagheera mais aussi la Rancho), elle offre un excellent Cx et se rapproche d’une sportive miniature (4,07 mètres de long seulement, dans la même veine que la Bagheera). Elle conserve les phares rétractables qui affinent sa silhouette (peut-être trop d’ailleurs, sur l’avant). Bonne nouvelle : le châssis est galvanisé et Matra offre une garantie de 6 ans à ce sujet. De quoi faire oublier les mauvaises surprises de la Bagheera. La voiture est présentée en octobre 1980 au Salon de Paris et la commercialisation est ouverte dans la foulée, en novembre. Seuls les modèles 1.6 sont proposés, les 2.2 demandant un peu de mise au point (seuls 27 exemplaires seront produits en cette fin d’année 80). Avec 1 375 exemplaires produits sur les 3 derniers mois de l’année, les débuts sont encourageants et c’est toujours mieux que les 360 dernières Bagheera produites cette année-là.
De grandes espérances
L’année 1981 représente la première année pleine de production. Le moteur 2.2 litres est enfin disponible et devient rapidement majoritaire dans les ventes, notamment à l’exportation. En Allemagne, la Murena fait sensation avec ce moteur, alors qu’en Italie, le 1.6 remporte les suffrages pour des questions fiscales. Les ventes décollent à 6 140 exemplaires cette année-là mais ce n’est pas suffisant. Outre un manque de puissance évident malgré un tarif conséquent (qui reste en deçà, cependant, d’une Porsche 924 par exemple), la Murena pâtit d’un réseau démotivé, fusionné avec Peugeot, et dont les commerciaux rechignent à vendre une telle voiture dont l’entretien fait peur. Le moteur est en effet difficilement accessible de par sa position, et beaucoup d’agents préfèrent s’occuper de classiques Solara ou Horizon. Malgré une Tagora qui vient enfoncer le clou en haut de gamme, la marque Talbot peine à sortir du marasme et son image s’en ressent.
La Murena face à la tempête
L’année suivante en est représentative. Malgré la vente d’un kit 142 chevaux (une centaine vendue), la Murena ne fait plus recette. Outre les problèmes déjà cités, elle doit affronter une nouvelle concurrence : les citadines énervées, comme la Renault 5 Alpine Turbo ou la Golf GTI (entre autres). La déferlante n’est pas encore là, mais la tendance marquée : le coupé sportif populaire ne fait plus recette et chez même en interne, on prépare la riposte (la 205 GTI en sera le point d’orgue). Avec 2 169 exemplaires produits en 1982, la messe semble déjà dite, d’autant que chez PSA, les premières rumeurs d’une disparition de la marque Talbot apparaissent. Pire : les relations entre Matra et son actionnaire minoritaire se dégradent franchement. Que ce soit Peugeot ou Citroën, on décline poliment la proposition d’un van dénommé monospace tandis que PSA, à la recherche d’argent frais, revend sa participation au groupe Matra dans le courant de l’année. Cette séparation capitalistique signe, en catimini, la fin de la Murena.
De la Murena à l’Espace
Pourtant, en 1983, la voiture évolue avec une Murena S qui dispose enfin, en série, du kit 142 chevaux proposé jusque-là avec parcimonie à quelques clients. Cela sera le chant du cygne. La Murena quitte le catalogue Talbot en fin d’année tandis que la marque est condamnée par un Jacques Calvet décidé à en finir avec la gabegie et les grèves à répétition. De toute façon, lâchée de toutes parts, la Murena s’effondre et tire sa révérence avec 996 exemplaires seulement produits en 1983. Redevenu libre, Matra se concentre alors sur son nouveau projet, validé et désormais développé avec Renault : l’Espace. Une aventure différente, mais qui durera près de 20 ans, jusqu’à l’Avantime au début des années 2000.
Regrets éternels
Que manquait-il à la Murena ? D’être née à la bonne époque sans doute. Dans ce début des années 80 compliqué pour le segment, et compliqué pour PSA, la Murena ne partait pas avec toutes les chances de son côté malgré de notables progrès vis-à-vis de la Bagheera. Pas assez sportive et exclusive pour lutter face aux allemandes et aux italiennes, trop chère et trop décalée pour espérer une diffusion massive, peu soutenue par son réseau ni par la marque qui lui donnait son logo, elle ne pouvait que limiter la casse et laisser des regrets : son châssis méritait plus de puissance, et son concept plus d’attention marketing. En quatre, elle marqua tout de même quelques esprits qui la regarde, encore aujourd’hui, avec tendresse.
Images : PSA, Matra, DR
3 commentaires
Je n’ai jamais compris pourquoi Renault avait mis son veto pour le montage du 2L Douvrin sur la Murena.
Alors qu’à l’époque, on trouvait à la Régie la R20 TS et chez Peugeot les 505 TI/STI.
Bien que de conception différente (traction/bicorps chez Renault, propulsion/tricorps chez Peugeot), ces deux modèles entraient en concurrence malgré tout (j’exclus volontairement les CX Reflex & Athena car elles représentaient l’entrée de gamme pour ce modèle), et ce en disposant du même moteur…
Seul l’alimentation différait, carbu pour la R20 et injection pour la 505.
Alors pourquoi ne pas avoir repris le même principe pour les coupés (Fuego/carbu et Murena/injection)?
Pour le 2.2L, dommage que PSA/Talbot/Matra (rayez la mention inutile) n’est pas sorti une version Turbo avec le moteur de la 505 Turbo Injection, le bloc étant le même.
Je connais quelqu’un qui en son temps avait tenté cet audacieux bricolage: 180ch pour une auto à la ligne très basse et dépassant tout juste la tonne, ça décoiffe! Mais ça fait peur aussi… Après une belle frayeur, l’auto ayant servi de cobaye à cette expérience retrouva sa configuration originelle. Imaginez un peu ce qu’aurai pu être une version Turbo « usine »… Et avec la culasse multisoupapes de la 4S par dessus ça… Que de regrets…
Faire de belles autos qui ne se vendent pas, l’histoire industrielle automobile regorge de ces récits accompagnés de la mention « Regrets éternels ». Matra fut plus intelligent avec Rancho et Espace qu’avec Murena. Les loisirs, le collectif prenaient le dessus surtout l’Espace qui fut l’auto de l’époque du Ministère du Temps Libre. Fiat avait laissé sa X1/9 à Bertone, Triumph allait disparaître, peu après l’arrêt de la TR7 en 1981. L’Opel GT n’avait pas eu de suivante après 1973, Lancia faisait durer sa Beta qui croisait aussi un cran au-dessus. Mais Matra-Simca, ou Talbot-Matra n’était pas Toyota déjà à dimension mondiale qui dépliait ses générations de Celica. Ce type d’auto, toute en séduction visuelle, n’avait vraiment plus court dans les temps de mutations industrielles, de chocs pétroliers accumulés, et d’usages mutants de l’automobile. Le Chrysler Voyager, l’Espace, les GTI (« camionnettes sportives » comme l’avait dit Bernard Darniche dans je ne sais plus quelle interview), l’Auto Verte mais pas au sens actuel évidemment, tout cela n’aidait pas la Murena. A quoi cela pouvait-il bien servir d’ailleurs ? C’était fait pour qui au juste ? La Scirocco était bien plus académique. Bref, une belle auto peut-être anachronique chez un constructeur en pleine reconfiguration. On peut tout autant regretter le coupé Peugeot 505 dans une autre gamme.
On peut voir une Murena garée dans la rue dans « Banzaï » avec Coluche, lorsqu’il est chez l’épicier, au début du film.