Si la question de la place de l’automobile en ville est tout à fait légitime, les comparaisons de poids et de taille à différentes époques et sur des modèles de différentes catégories pour justifier une décision par ailleurs défendable sont, elles, totalement idiotes. Vous l’aurez compris, certains élus sont totalement à la masse, privilégiant l’idéologie et le buzz à la réalité. Et si on reprenait tout depuis le début ?
Comparaison n’est pas raison !
Car en vérité je vous le dis, au commencement existaient les petites et les grosses. Il s’agissait d’une question de moyen, de besoin, de puissance, de confort ou tout simplement de désir. Croyez-le ou non, la question est la même aujourd’hui : rien n’a changé au royaume de l’automobile dans l’acte d’achat. Dans les années 30, on pouvait acheter un cyclecar (équivalent d’un quadricycle léger aujourd’hui) de moins de 350 kg comme une Bugatti Royale de 3 tonnes (consommant entre 30 et 60 litres de pétrole) : tout est toujours une question d’envie, de besoin, de moyen etc. Entre les deux, toute une panoplie de véhicules dont le poids et la taille varient en fonction de tant de critères qu’il est impossible de les énumérer. C’est encore pareil en 2023, entre une AMI et un Range Rover.
En avoir une grosse, ou une petite
Prenez toutes les époques de l’automobile, il existera toujours des grosses et des petites, et cette situation perdure aujourd’hui. La liberté individuelle, encore en vigueur (pour combien de temps ?), vous permet d’être frugal comme déraisonnable. Tout dépendra de l’épaisseur de votre porte-monnaie, de votre désir de plaire (une question de taille, là encore), ou tout simplement de vos besoins. Évidemment, si l’on ajoute à l’équation les questions morales et/ou éthiques, le résultat ne sera pas le même, et c’est ici, selon moi, que se jouent les choses.
Mais n’oublions pas qu’entre-temps, il s’en est passé, justement, des choses. Même en restant dans la même catégorie supposée, peut-on réellement comparer une Nuova 500 (1957) à une 500 (2020, soit hybride, soit totalement électrique) ? Certes, la première pèse 470 kg pour 2,97 mètres quand la seconde pèse entre 1,2 et 1,3 tonne, mais parlons nous de la même voiture ? Je ne le pense pas. Observons ce tableau rapide :
Fiat 500 Topolino 1936 : 610 kg, 3,210 mètres et 6 litres au 100
Fiat 500 (1957) : 470 kg, 2,970 mètres et 4,5 litres
Fiat 126 (1972) : 580 kg, 3,054 mètres et 4,6 / 6,5 litres
Fiat Cinquecento (1991) : 710 kg, 3,227 mètres et 6,2 / 9,5 litres
Fiat Seicento (1998) : 735 kg 3,337 mètres et 5,5 / 5,9 litres
Fiat 500 (2007) : 860 – 980 kg, 3,546 mètres et 3,8 / 6,7 litres
Fiat 500 (2020) : 1180-1330 kg, 3,632 et 13,8 KwH
Que voit-on ? Pas grand chose en réalité, car même en restant dans la même catégorie, on ne parle pas des mêmes automobiles. Un truc, cependant, saute aux yeux : les prises de poids les plus visibles datent 1991 et de 2007, et correspondent soit à des sauts sécuritaires (1991), soit à des consommations largement en baisse (en 2007 même si les versions sportives disponibles à l’époque augmentent le maximum). Et croyez moi sur parole, rouler en 500 MY07 est bien plus confortable qu’en Cinquecento MY91 ou en 500 MY57. Et sans l’avoir testé, se crasher à 110 reste aussi en faveur de la “grosse” 500 versus la “petite” Cinquecento ou la très petite 500 de la Dolce Vita.
Personne ne veut en avoir une petite !
Alors pourquoi cette question de poids semble si importante aux yeux de cet édile lyonnais ? Sûrement parce qu’une toute petite partie de la population roule en 500 (ou autre citadine de petite taille) et que les SUV semblent avoir envahi nos routes. Cependant, c’était aussi vrai en 1957, en 1977 ou en 1997 : le marché est segmenté, et si les citadines ont souvent trusté les charts pour des raisons évidentes (prix, besoin etc), elles n’ont jamais été majoritaires par rapport à tous les autres segments. Une Simca Marly, de 1957 elle aussi, pesait 1 300 kg (et consommait 13 litres). De quoi a-t-on besoin, pourquoi, à quel prix, comment ? Autant de questions que les militants écologistes éludent.
Enfin, rentrons dans le dur : pour une hausse de taille 30 à 60 cm et de 200 à 500 kg (sur notre exemple de Fiat 500), qu’obtient-on en échange ? Du confort, de l’autonomie, de la sécurité, voire de l’écologie : car n’oublions pas, le vrai “gap” de poids, c’est aussi le passage du tout thermique à l’hybride et/ou l’électrique, mais aussi depuis 30 ans au moins à des normes sécuritaires et écologiques de plus en plus drastiques. Qui accepterait aujourd’hui de rouler en Nuova Cinquecento (autrement qu’en collection), avec zéro airbag, un moteur à l’arrière bien polluant et consommant certes 4,5 litres au 100, mais pour 16 chevaux seulement (autorisant un modeste 90 km/h de pointe), sans place dans le coffre et dans laquelle on peinerait à mettre 4 adultes qui seraient par ailleurs tous morts lors d’un choc un peu violent (sans avoir besoin d’aller à 130) et/ou qui dézinguerait n’importe quel piéton même avec ses formes molles.
Une industrie contrainte
Connaissez-vous une industrie (à part l’aéronautique et le ferroviaire, id est transport de personne) qui subisse autant de normes sécuritaires et écologiques que l’automobile ? Sachez que la prise de poids automobile est essentiellement due à cela : sécurité et écologie. Et imaginez les trésors d’ingéniosité (et donc d’ingénierie), de talent, et de technologie (enfin) pour limiter la prise de masse tout en consommant peu, satisfaisant le consommateur/conducteur, et réduisant l’impact écologique ? Tout en sachant que, entre la 500 de 2007 et la 500 de 2020, les 300 à 400 kg en plus sont dus… aux batteries (l’avenir écologique).
Nous avons parlé essentiellement de cette 500 prise maladroitement en exemple par cet élu lyonnais. Cependant, il soulève quelque chose d’intéressant : si la prise de poids n’est pas si forte qu’on ne l’imagine (hors passage à l’électrique), comment se fait-il qu’on ait (tous, pas que lui) le sentiment d’une prise de poids générale ? Tout simplement parce que la citadine 500 dont on parle, qui avec ses congénères a représenté entre 30 et 40 % du marché automobile depuis les années 60, n’existe plus aujourd’hui : de moins en moins rentable, les segments A et B sont délaissés. La baisse du marché automobile (du moins en Europe occidentale) favorise les grosses au détriment des petites, tandis que chaque segment joue d’artifices pour paraître plus gros qu’il ne l’est.
Une différence de poids !
Prenons un autre exemple frappant : les Peugeot 208 et 2008.
Peugeot 208 : entre 980 kg et 1 158 en thermique, 1 530 en électrique
Peugeot 2008 : entre 1 189 kg et 1 235 en thermique, 1 455 en électrique
Pourquoi cette différence de poids ? La 2008 n’existe pas en version basique comme la 208. Dans la majorité de ses versions, elle prend très peu de kg par rapport à sa petite sœur en étant bien plus grande. Quant aux versions électriques, vous noterez par vous même que la 2008 visuellement plus grosse est plus légère que la 208 dotée du même moteur. Vous noterez aussi la prise de poids, dans les deux cas, imposée par l’électrification.
Contrairement aux idées reçues, l’industrie automobile est déjà en décroissance : vendre moins, pour vendre mieux (ou plus cher, ce qui revient au même). En 2010, Peugeot vendait 2 141 000 voitures, un chiffre qui descend en 2022 à 1 056 000 … et gagne plus d’argent ! Pour le constructeur, le choix est vite fait : vendre moins, mieux, plus cher et avec plus de marge ! Et c’est pareil pour tous les constructeurs dépendant largement des marchés occidentaux (Peugeot ou Fiat en l’occurrence).
Le poids et la taille ne sont pas des arguments
Tout ce charabia long et ennuyeux pour dire quoi ? Tout simplement pour dire que le poids ou la taille ne font pas tout, et pas qu’en automobile. Que les problèmes d’environnement, de transport et de sécurité sont plus complexes qu’on ne le croit, et qu’il ne suffit pas d’un argument débile pour décréter le bien ou le mal. Dans cette société en mouvement à tous points de vue, on ne devrait pas faire passer des changements (nécessaires ou non, là n’est pas le problème) par des formules chocs (mais souvent fausses). On devrait, à mon sens, réfléchir ensemble (y compris avec les industriels), ne pas jeter l’anathème sur un secteur qui fait vivre des centaines de milliers de personnes et en déplace des millions, juste pour un petit plaisir électoraliste, et envisager des solutions plus que de la coercition ! D’autant qu’à ce rythme, on aura le beurre et l’argent du beurre à l’envers : plus d’industrie automobile (et de transport, l’aérien est dans le même cas), des millions de gens au chômage, et des voitures électriques produites en Chine, tout aussi lourdes et grandes, produites dans des conditions bien plus polluantes !
2 commentaires
Certes, le poids est fondamental dans la consommation d’une voiture sur toutes les vitesses en deçà de 100 km/h environ mais au delà, l’aérodynamique devient prépondérante (le SCx produit du Cx bien connu dans les années 80 et du maitre couple (la surface de la face avant)).
Essayez de trouver le second paramètre d’une voiture actuelle, impossible !!
Revenons au poids (Light is right disait Sir Colin Chapman),
l’inflation délirante du poids est du à la frénésie (réclamée que dis je exigée par le public) pour tout un tas de fonctions pas toujours utiles (climatisation, vitres et rétros électriques, insonorisation très poussée, moquette épaisse, mobilier intérieur massif, options inutiles type éclaraige boite de nuit, surfaces vitrées de plus en plus grandes (le verre pèse plus lourd que la tôle))
et par une dictature de la sécurité (merci Euro NCAP) pour des voitures qui roulent de moins en moins vite. La standardisation des freins n’a pas non plus aidé à la légèreté ni la mode des roues de 18 pouces.
Une étude bénéfice/inconvénients (sauver des vies contre voiture légère) n’a jamais été menée sérieusement et mériterait de l’être.
Quelle rubrique ! Le titre hugolien et l’accroche (Captatio benevolentiae) de l’exorde, empruntée à l’évangile de Jean. Il fallait bien cela pour aborder un objet d’idolâtrie et de vanité, l’automobile, qui se meut soi-même, ou le narcissisme mécanique (« Je n’ai besoin de personne… » chantait qui vous savez). Tout cela pour dire, et je suis loin d’avoir lu tous les sujets traités par le prolixe Paul Sernine, qu’il s’agit de l’article le plus fondé et le plus important de sa collection. Je me permets d’ajouter la question de la situation, de la contextualisation. Matthieu Flonneau, historien de l’automobilisme et du rapport de l’automobile aux mondes urbains, serait d’un bon recours. La mobilité automobile assure l’autonomie, cela va de soi. Mais, cette donnée diffère et diverge selon que l’on est un rat des villes ou un rat des champs. Sanctionner la ruralité, l’univers des petites villes, des bourgs, au nom du développement durable, parce que l’on met tout le monde dans le même panier, reste une vue spécieuse. Paul le sait bien lui qui vit du côté de chez George Sand. Les automobiles célébrées dans ses pages appartiennent à un monde révolu, et les youngtimers et sleepers évoqués ces dernières semaines de la fin de l’année 2023 datent d’une période suture, celle d’avec le monde d’aujourd’hui. « Hyper-Lieux » a écrit le géographe Michel Lussault en 2017 sur l’univers métropolitain de la mondialisation. La France et ses 23 000 ronds-points, ses déviations, ses quatre voies, ses zones commerciales, stations et établissements scolaires aux périphéries, ses kilomètres carrés de parking, a installé l’automobile partout. Les SUV et leur équipement média sont des véhicules de l’Urban Jungle. L’électrification leur convient, en regard de l’autonomie et du kilométrage moyen parcouru. D’ailleurs, les publicités pour des véhicules en LOA ou LLD sont éloquentes. Les kilométrages contractuels sont en-dessous des pratiques des provinciaux et ruraux. L’accidentalité routière en 2022 est annoncée à 3 267 morts (et 236 834 blessés) contre 18 304 en 1972 (386 874 blessés), alors que le parc automobile est composé de 38,9 millions de voitures particulières en 2023 contre 13,7 millions en 1970. On roule mieux, pas forcément plus loin, plus en sécurité, mieux éduqué (le permis est plus sérieux qu’en 1978, date du mien), dans des véhicules autrement plus sûrs et sobres, faits pour durer plus loin que la Dead line des 100 000 bornes. Une Renault 12 était soiffarde de super plombé en regard des véhicules actuels. Une Vedette devait être vidangée tous les 5 000 kilomètres. Mais les automobiles contemporaines sont aussi lourdes d’équipements superfétatoires, d’infotainment nuisant à la vigilance et à la sécurité, d’objets restés neufs quand l’auto est disqualifiée. Le sort des banquettes arrière m’intrigue toujours. Elles sont peu, voire jamais occupées. Qu’en fait-on ? Des canapés pour motor-home ? De même, les casseurs sont devenus redistributeurs, recycleurs et dépollueurs. Une casse à l’ancienne a des allures d’ossuaire quand le récupérateur fait le gardien de cimetière. Encore une affaire de concession. L’auto électrique sera lourde, elle l’est déjà. Mais a-t-on besoin de garder le même format, la même organisation primitive du véhicule, tout le monde assis en regardant devant, les uns derrière les autres ? La fonction reste, la typologie de la mobilité change. De ce fait, la forme devrait bien traduire la fonction mutante. Rouler en réduisant les émissions de tous ordres (on pollue en freinant, des microparticules s’échappent), faire durer les automobiles au lieu de les changer sans arrêt (les ambulanciers ont des véhicules millionnaires en kilométrage). Et puis, de toute façon, l’humanité augmente et accède à l’automobile. Elle est passée de 2,2 milliards d’individus en 1940 à 3 milliards en 1961, 4,4 milliards en 1980 et 8 milliards aujourd’hui. La démographie commande. Chacun mettra l’auto de son choix en face de ces millésimes. Le papier de Paul apporte aussi deux remarques clés. Les autos les plus lourdes ne sont pas celles que l’on croie et l’industrie automobile a commencé sa décroissance.