Voir notre TGV rouler en Espagne en ce début des années 90, quelle fierté. Symbole de la modernité, de l’Union Européenne, de la liberté retrouvée et de l’insouciance encore présente après la chute du Mur (et malgré la guerre du Golfe), l’AVE espagnole montrait la route d’un monde de coopération, de technologie, de voyage et de vitesse. Retour sur ce train espagnol très français !
Jeux Olympiques et Exposition Universelle : l’Espagne à l’honneur
1992 : année faste pour l’Espagne et son rayonnement puisque deux événements majeurs mettent la péninsule sous les projecteurs. Au Nord-Est, Barcelone reçoit les Jeux Olympiques d’été tandis qu’au sud-Ouest, Séville accueille l’Exposition Universelle. Avec ces deux événements, Madrid espère transformer l’image du pays en mondovision et tirer un trait définitif sur son passé Franquiste. Adieu l’image de carte postale d’un pays sous-développé (par rapport à l’Europe dont fait partie l’Espagne depuis 1986), et pour cela, il faut communiquer (JO et Expo Universelle) et moderniser les infrastructures. Et quoi de mieux qu’un Train à Grande Vitesse pour faire passer le message. Voici donc l’histoire de l’AVE S-100, cousin du TGV Atlantique reliant (dans un premier temps) Madrid à Séville.
Changement de monde pour la Péninsule
Ceux qui, comme moi, se sont rendus à l’Exposition Universelle de Séville en 1992 auront pu le constater : en ce début des années 90, l’Espagne n’avait plus rien à voir avec celle que nos parents visitaient en 2CV pour deux pesetas et quelques une ou deux décennies avant ! Désormais, il fallait rentrer dans le pays profond pour se dépayser tant les grandes villes ressemblaient à leurs homologues européennes. A mon arrivée à la gare de Madrid-Chamartin par le fameux « Puerta del Sol » avec changement de boggies à Hendaye (pour le coup un vrai dépaysement), quel plaisir de retrouver un peu de France en croisant le tout nouveau AVE S-100 sur la voie d’à côté. Si nous avions eu les moyens à l’époque, nous aurions sauté dedans direction Séville, notre destination finale. Mais nous connaissions déjà le TGV, et beaucoup moins l’Espagne : le trajet se fit en auto-stop, en car et parfois à pieds. Cependant, voir la merveille technologique d’Alsthom dans une gare madrilène nous remplissait de fierté, mes camarades de voyage et moi-même.
Une compétition ouverte
Nous étions en août 1992 et ce tout nouveau train n’était en service que depuis quelques mois. Le 21 avril 1992, l’AVE effectuait son premier trajet commercial avec ses deux motrices et ses 8 voitures (moins qu’un TGV français) à plus de 250 km/h. En janvier, une rame expérimentale avait bien fait une pointe à 330 km/h mais l’AVE, contrairement à son cousin français, n’avait pas vocation alors à dépasser les 300 en vitesse commerciale. C’est l’obtention de l’organisation de l’Exposition Universelle qui convainquit les autorités espagnoles et la RENFE (l’équivalent de la SNCF en Espagne) de construire une LGV entre Madrid et Séville. Pour les JO de Barcelone, la question se posait moins avec un aéroport international, une connexion avec le réseau ferré français et une relative proximité avec Madrid. Séville en revanche se trouvait fort isolée, tout au Sud. En juin 1988, les propositions de constructeurs de trains sont déposées : celle d’Alsthom, avec un dérivé de son TGV déjà en service depuis 1981, Siemens avec l’ICE encore en phase de test, les japonais avec le Shinkansen et les italiens emmenés par Fiat avec leur ETR-500 lui aussi en phase de développement. Seuls les français et les japonais exploitaient déjà leurs trains.
L’AVE, cousin du TGV Atlantique
C’est finalement Altshom qui l’emporte. Outre une grande expérience depuis les premières expérience avec le TGS (Turbine à Gaz Spéciale) puis le TGV-001 (dessiné par Jacques Cooper) et enfin le TGV électrique rentré en service en 1981, la solution permet une interconnexion avec le réseau français (les AVE iront par la suite jusqu’à Lyon). Si les premiers TGV ont commencé à rouler en 1981, une nouvelle version vient de voir le jour : le TGV Atlantique, dédié aux lignes de l’Ouest français. S’il ressemble beaucoup à son homologue sur Sud-Est, il bénéficie de nombreuses améliorations et c’est sur cette base qu’Alsthom va proposer l’AVE (Alta Velocidad Espanola). Restylé à l’Espagnole (couleur blanche, ligne légèrement plus ronde), il conserve cependant l’écartement international obligeant la construction d’une voie dédié tant à son écartement qu’à la grande vitesse. Sur les 24 rames commandées, 6 seront livrées en version écartement espagnol étroit pour circuler sur la ligne Euromed entre Valence et Barcelone (vitesse limitée) sous le nom de S-101. Elles finiront par être transformées en S-100 entre 2009 et 2010.
L’Espagne moderne
Seuls les quatre premières rames seront construites à Belfort par Alsthom, les 20 suivantes le seront en Espagne chez MTM et CAF, deux constructeurs espagnols. Si le premier voyage commercial eut lieu le 21 avril 1992, une semaine avant, le roi Juan Carlos, la reine Sophie et de nombreux invités VIP purent « tester » le confort du nouvel AVE, le tout devant les caméras et les appareils photo du monde entier. Avec les JO, l’Expo Universelle, l’AVE, l’Espagne entrait enfin dans le monde moderne, et le faisait savoir, tandis que 2 000 Seat Toledo produites à Barcelone sous l’égide de Volkswagen jouaient les voitures officielles sur ces événements et montraient au monde l’industrie ibérique.
Des rames modernisées toujours en service
Entre 2006 et 2008, les 18 rames S-100 reçurent une rénovation complète. A Partir de 2012, elles furent modifier à Belfort pour pouvoir rouler aussi en France (alimentation en continu 1500 V au lieu de 3000 V en Espagne). Aujourd’hui, les AVE S-100 circulent toujours en Espagne même si d’autres lignes et d’autres constructeurs vinrent participer à la fête (S-102 et S-130 Talgo-Bombardier, S-103 Siemens, S-104 et S-114 Alstom-CAF ou S-120 CAF). Certes, Alsthom (devenue Alstom) n’est plus le seul à fournir la RENFE en trains à haute vitesse, mais quelle fierté à l’époque de voir NOTRE TGV circuler en Espagne, preuve de l’avance prise par nos industriels et la SNCF quant il s’agissait de lignes à grandes vitesses et de matériels racés et performants !